lundi 26 août 2019

Thomas Le Corre / Finished






Il y a plusieurs façons de parler de la musique de THOMAS LE CORRE. J’ai donc choisi de commencer par la pire de toutes : Thomas joue exclusivement de la guitare acoustique. Ou plutôt des guitares acoustiques puisqu’il en joue de toutes les tailles et de toutes les tonalités : de la plus grande à la plus petite, de la plus grave à la plus aigue. J’ai longtemps pensé que les enfants traumatisés par des parents qui tenaient absolument à ce que leur progéniture fasse de la musique se divisaient en deux camps. D’un côté celles et ceux sous le joug du piano et de la méthode Hanon ; de l’autre celles et ceux qui s’arrachaient le bout des doigts sur les cordes d’une guitare sèche. Et je ne parle même pas de ceux qui comme moi avait un père guitariste de gauche et une mère fanatique de piano centriste – ce fut la double peine, jusqu’à l’adolescence rebelle.
Donc la guitare acoustique c’est chiant. Connoté. Pénible. Inutilement virtuose. Associé à des musiques dont je ne veux même pas entendre parler : flamenco et autres latineries ensoleillées ou chanson française engagée de babloches. Et puis avec le temps on découvre et on apprend qu’il y a des exceptions. Les compositions merveilleuses et pacifiques de Lou Harrisson par exemple. La musique de Thomas en est une autre.

Finished est le premier album solo de Thomas Le Corre. Des années qu’il doit le trainer derrière lui, à jouer et rejouer inlassablement ses propres compositions ainsi que celles des autres. Je me rappelle même qu’à défaut de sortir un enregistrement Thomas avait publié il y a quelques années une partition intitulée Guitar Trio N°1 avec cette indication : « le tout n’est pas toujours égal à la somme des parties ». Chaque partie de ce trio pouvait indifféremment être jouée seule, par deux ou par trois, ce qui était source de surprises et de trouvailles, d’accidents ou de merveilles… toute une poétique (si on entend par là que la poétique est la science finalement incontrôlable de la création en matière de poésie). Il a donc mis le temps Thomas avant de donner naissance à Finished, dont le titre résonne comme un accomplissement, certes non forcé, à la fois épidermique et pudique. Il faut dire qu’avec son groupe Møller-Plesset il nous a depuis longtemps habitués à la rareté. Pas grave : avec Thomas Le Corre beauté et poésie font oublier tout le reste. Y compris l’attente, cette composante harassante de l’existence.

La délicatesse est l’un des maîtres mots de Finished. Mais il s’agit d’une délicatesse tendue, exigeante et retentissant d’innombrables échos. Entre berceuses, balades et escapades aux sonorités baignées tour à tour par le soleil du matin, le vent du sud, les parfums d’Extrême-Orient, l’étendue de plaines vallonnées, une marche funèbre en référence à Eric Satie, la corde la plus grave qui vibre telle une respiration profonde, des arpèges qui montent en frêle cathédrale, des petits bruits de musique éparts mais unis comme les galets d’une plage venteuse. Des émois solitaires à partager.
Il est difficile de ne pas se laisser aller à la rêverie en écoutant Finished. Impossible même de refuser ces petits instantanés de bonheur fragiles – moi qui suis très souvent amateur de grosses guitares j’en ai vraiment pris pour une belle fraction d’éternité –, difficile de ne pas sentir la poussée des sentiments exprimés (le sublime Shot Twice). Ou alors c’est que l’on n’a pas de cœur. Ou que l’on n’a plus le cœur qu’il faut, celui qui continue de palpiter, même arraché de la poitrine et brandi en guise d’offrande par une main tendue.

Dernière petite surprise… avec le disque est joint un coupon de téléchargement qui permet de se procurer Finished au format wave auprès du label In My Bed : à la fin du fichier téléchargé se trouve une piste bonus supplémentaire, une reprise de Boys Don’t Cry des Cure. Les garçons ne pleurent pas… la preuve que si. Merci Thomas.

[Finished est publié en vinyle par In My Bed]