Je dois avouer qu’au départ j’ai
vraiment eu du mal avec Respecte-moi,
tout premier album de FLEUVES NOIRS.
Et il m’arrive encore, mais de plus en plus rarement, de ne pas y comprendre
grand chose (ce n’est pas non plus ce qu’il y a de plus grave dans la vie).
Sans doute en est-il ainsi avec les disques dont j’attends beaucoup trop –
l’idéalisme en matière de goûts musicaux devient alors une sorte de maladie
honteuse – et celui-ci n’a pas tout à fait eu l’effet escompté sur moi. Les
symptômes de l’addiction n’ont pas été immédiats, cela n’a pas été le coup de
foudre instantané, l’étreinte charnelle, la folle passion ni le baiser du
tueur. J’ai écouté Respecte-moi un
nombre déraisonnable de fois ; puis je ne l’ai plus écouté du tout ;
avant de recommencer à le faire, encore, à différents moments, dans différentes
conditions et différentes positions. J’ai cru enfin voir la lumière, même
vacillante, j’ai cru sentir le début d’un frémissement, avant de me retrouver de
nouveau face à un mur. Pas un mur du son, ni même un mur d’incompréhension mais
un mur… de désamour : la noirceur ironique et la folie mongoloïde de Fleuves Noirs me sont apparues bien
ordinaires et ne me touchaient presque pas, pas plus qu’elles ne me faisaient
peur. J’en avais vu et surtout j’en avais déjà entendu bien d’autres.
Pourtant tous les ingrédients semblent
réunis pour faire de Respecte-moi un
disque largement au dessus du lot. Mais la théorie et la pratique ce n’est pas
la même chose : Respecte-moi
gagne peut-être le grand prix de l’originalité parce que voilà un disque dont
on se souvient et qui ne laisse pas indifférent mais il perd celui de l’obsessionnel rigolard,
ce qui est un peu dommage pour un groupe qui joue à fond la carte du délire foutraque
et halluciné. On retrouve ici l’ancienne section rythmique de feu Berline0.33
et je suis très heureux d’avoir des nouvelles de ces deux là, j’oserais presque
affirmer qu’ils me manquaient et ils constituent un argument de poids non
négligeable en faveur de la musique de Fleuves
Noirs, l’un de ses atouts principaux et l’une de ses qualités premières – un
couple basse/batterie jouant autant la souplesse que l’appui, c’est plutôt rare.
Ensuite il y a un chanteur / shaman échappé de Cheyenne 40. Un vrai débile au
cœur pur comme je les aime, spécialisé dans les borborygmes vocaux
inintelligibles et au seuil de l’agaçant, sorte de croisement entre John Lydon qui
aurait perdu son dentier, Mark Mothersbaugh (avec des cheveux longs) et Gibby
Haynes (avec des lunettes cerclées). Enfin le guitariste, malgré toute sa
discrétion (il est loin d’occuper la première place dans le mix), joue un rôle
prépondérant, celui de l’électron libre et de l’élément qui fait ressortir tous
les autres en semant le trouble.
Dès Jean
Roulin c’est presque une affaire entendue que basse et batterie d’un côté
et chant de l’autre ont un champ d’action certes plutôt large mais bien défini
et bien délimité et qu’ils n’en sortiront pas ou que très rarement, respectant
les préceptes qui établissent l’architecture de base et la nature des
compositions de Fleuves Noirs. Par contre
la guitare papillonne et virevolte constamment, seul élément subtil et aérien –
bien que très souvent dissonant voire bruitiste – au milieu d’une grosse
boucherie psyche-noise qui en rajoute constamment. Les meilleurs titres sont
logiquement ceux sur lesquels le couple rythmique redonde et mouline du
chou-rave tandis que le chant glaviote toujours plus de sauce
harissa-mayonnaise-nutella sur les murs : un tel dispositif devient source
d’irritabilité aigue et permet à la guitare de faire ce qu’elle veut avec nos
petits nerfs en pelotes et d’asséner le coup de grâce. Toutefois cette
mécanique bien huilée montre toutes ses limites sur Hesitanza, composition barbante et trop linéaire qui ne fait que
s’enliser sans jamais décoller et qui est pour beaucoup dans mes premières
réticences à l’égard de Respecte-moi.
Je ne ferai aucun mystère qu’à la
première face de Respecte-moi je lui
préfère largement la seconde que j’écoute bien plus souvent : elle donne à
entendre Bambu / Con Moto qui est le
jumeau hétérozygote (et donc réussi) de Hesitanza ;
surtout cette seconde face se termine avec Loufresnaere
qui est le meilleur morceau du disque parce que le plus varié et le plus
sophistiqué : sa construction en forme de trip-tyque échappe toujours plus aux
règles du bon goût formaté mais également aux modes opératoires précédemment mis
en place par Fleuves Noirs. La
guitare, ici beaucoup plus présente, gagne autant en miraculeux qu’en tumultueux
tandis que basse, batterie et chant s’aventurent en dehors que leurs rôles
habituels (avec l’appui bienvenu d’un synthétiseur crépusculaire). C’est dans
les eaux agitées et réellement dangereuses de ce Fleuves Noirs là que j’aurais volontiers préféré me noyer. Bambu / Con Moto, Loufresnaere mais également Il
est Beethoven Deux Heures (!) portent en eux toute la réussite et donc
toutes les promesses d’un groupe dont j’espère qu’il ne s’arrêtera pas en si bon chemin
car après tout Respecte-moi n’est qu’un
premier disque, avec ses qualités et ses défauts, donc peut-être le point de
départ vers quelque chose d’encore meilleur. En tous les cas Fleuves Noirs est un groupe à suivre.
[Respecte-moi
est publié en vinyle transparent par Etienne Disc, Jarane,
Poutrage records, Smart And Confused,
Tandori records
et Te Koop records]