vendredi 2 novembre 2018

Thalia Zedek / Fighting Season


L’heure est au combat pour THALIA ZEDEK. Cela fait quelques temps que la chanteuse et guitariste de Boston a collé un gros autocollant FCK NZS bien visible sur la caisse de sa guitare, un peu comme Woody Guthrie avait inscrit This Machine Kills Fascists sur la sienne dans les années 40. La filiation avec le chanteur folk ne me parait pas si incongrue que cela, c’est celle des protest songs mais aussi des chansons éminemment personnelles où les sentiments et leur questionnement occupent une place centrale (ce n’est pas un hasard non plus si Zedek s’est également essayée dans le passé à reprendre Bob Dylan, dont l’une des influences majeures est précisément Woody Guthrie). 
Car si Thalia Zedek est la fille du punk et de la noise – avec ses groupes Uzi, Live Skull puis, dans une moindre mesure, Come –, si les excès d’électricité ne lui ont jamais fait peur, bien au contraire, elle est avant tout une interprète de l’intime et des entrailles : elle parle de ce qui la touche, de ce qui la révolte, de ce qui lui fait du mal, de ce qu’elle ressent, elle parle beaucoup d’elle mais surtout elle nous parle à nous. Ou plutôt sa musique – et sa voix – s’adresse directement à nous, comme dans une sorte de conversation privée et privilégiée tout en gardant cette capacité à s’adresser à quiconque voudra écouter. Ça, c’est que l’on pourrait appeler un miracle.




Ainsi Thalia Zedek ne se laisse pas faire : Fighting Season est comme son nom l’indique un album pugnace et entêté. Et d’une incroyable beauté. Les combats de la chanteuse sont donc aussi « politiques » que personnels, ils n’ont rien de fondamentalement frontal dans leur façon d’être ici exprimés mais sont autant de prétextes à des déferlantes de poésie. La capacité de Zedek à transmettre et à verbaliser sa rage, sa tristesse, ses inquiétudes et ses espoirs sans pour autant donner dans l’agressivité de la démonstration, de l’affirmation et de la revendication est un talent plus que formidable : il est inestimable. De la même façon ou presque la musique n’a rien de menaçant, entre balades blues rock à peine électrifiées (Bend Again, Fighting Season, Ladder et The Lines), complaintes folk ou vaguement country (What I Wanted) et tirades poétiques (The Tower).
Et puis il y faut nécessairement parler du groupe qui accompagne Thalia Zedek et dont certains musiciens la suivent fidèlement depuis des années : en effet cette chronique aurait du mentionner Thalia Zedek Band* tel que l’indique la pochette du disque. C’est que le piano et encore plus le violon sont en quelque sorte les armes non revendiquées de la musique de Zedek – elle reste malgré tout l’unique compositrice et l’unique auteure du disque – ce qui fait sa particularité et, si j’osais, son essence secrète, comme les ingrédients mystérieux d’une recette magique. D’autant plus que le mix de Fighting Season n’avantage ni le piano ni le violon, comme pour tout bon disque de chansons qui se respecte c’est la voix abimée, vivante et survivante de Thalia Zedek qui occupe la première place. Cette voix qui n’aura jamais semblé aussi fragile et déterminée, ténue et affirmée, émotive et forte.

Avec Fighting Season Thalia Zedek signe indiscutablement son plus meilleur album à ce jour – du moins parmi ceux enregistrés sous son nom – et elle confirme qu’elle reste l’une des musiciennes américaines parmi les plus importantes du rock indépendant américain de ces trente dernières années. Elle est même dans une forme artistique resplendissante puisque en début d’année elle avait déjà publié avec le groupe E l’album Negative Work qui est l’un des disques les plus impressionnants de 2018 – sans compter que le concert qui avait suivi au Sonic lors de la tournée européenne du groupe était pas loin d’être fabuleux. Alors, même si Thalia Zedek ne récoltera jamais toute la reconnaissance qu’elle mérite, ne passez pas à côté de ce Fighting Season aussi indispensable que bénéfique et à la beauté aussi émouvante qu’imposante.

[Fighting Season est publié en vinyle (violet) et en CD (moche) par Thrill Jockey]

* Winston Braman à la basse ; David Curry au violon alto ; Mel Lederman au piano ; Jonathan Ulman à la batterie – mais Fighting Season voit aussi l’apparition à la guitare de J Mascis ainsi que celle de l’éternel ami et compagnon de route Chris Brokaw