En d’autres temps (et au
siècle dernier) j’aurais sûrement payé très cher pour assister au concert qui a
abouti à l’enregistrement de An Eternal Reminder Of Not Today : la réunion d’OXBOW
et du saxophoniste Peter BRÖTZMANN sur une
même scène, celle de l’édition 2018 du Moers Festival, en Allemagne. Inutile
cependant de rêver, je n’étais même pas au courant et mon désamour pour Oxbow
depuis la parution de l’album Thin Black Duke en 2017 m’aurait
certainement dissuadé de parcourir les quelques centaines de kilomètres
séparant mon home sweat home de Moers. Mais quand même… l’un des meilleurs – et
pendant longtemps mon préféré – groupes américains des années 90 qui joue avec
l’un des piliers de la scène free et improvisée européenne des années 60, 70,
80, 90, etc. J’avoue que cela aurait pu avoir de la gueule.
Ce sont les internets qui ont craché le morceau quelques semaines à peine après
le concert. Il était facile d’en retrouver l’enregistrement vidéo, en bonne
qualité puisque repiqué à une chaine TV culturelle franco-allemande bien connue
et je l’avais regardé, mi-sceptique et mi-amusé, entre agacement et fascination.
La dite vidéo a rapidement été supprimée en raison d’une réclamation de Nico Werner d’Oxbow pour atteinte à la propriété artistique. Tant
pis pour les pirates… Cependant la récente publication sur disque du concert (i.e. l’objet de la présente chronique) est une bonne chose, ne serait-ce que pour pouvoir (ré)écouter
sereinement cette musique sans avoir à supporter les images d’un public de
jazzophiles concentrés et assis.
An Eternal Reminder Of Not Today - Live at Moers ne présente aucun inédit
mais des nouvelles versions de compositions d’Oxbow, piochant dans
presque toute la discographie du groupe, exception faite du génial Let Me Be
A Woman de 1995, ce que je ne pourrais que regretter, et de The Narcotic
Story (2007), ce que je regrette déjà beaucoup moins : The Valley
est tiré du premier album Fuck Fest (1989), Angel et Cat And
Mouse sont extraits de King Of Jews (1991), Over de Serenade
In Red (1996), Skin de An Evil Heat (2002) et malheureusement
Thin Black Duke est représenté par trois titres : A Gentleman’s
Gentleman, Host et The Finished Line. Mais je ne devrais pas
écrire « malheureusement » parce que ces trois compositions sont celles qui
ressortent le mieux du traitement à la moulinette freeturée made in Brötzmann,
peut-être parce que les versions initiales de 2017 étaient décevantes. En
particulier A Gentleman’s Gentleman est très enlevé (malgré des foutues
parties de piano !) et rassure sur le fait que An Eternal Reminder Of Not
Today ne sera pas entièrement dédié aux tempos lents ou mediums. Quant à The
Finished Line il s’agit du meilleur titre du disque.
Et le reste alors ? Difficile de ne pas ressentir un fort sentiment de
frustration. Tout est bien en place, tout est parfaitement joué et souvent même
des fois un peu trop (les glissandos de Dan Adams sur le manche de sa basse
fretless m’insupportent). An Eternal Reminder Of Not Today est un disque
confortable à l’artificialité convenue mais plaisante. Et tout le génie de
Peter Brötzmann n’y peut rien. Je ne vais pas repartir sur le même refrain,
dire qu’Oxbow c’était mieux avant, que le groupe n’a plus rien de
dangereux, de méchant, de malsain et de saignant parce qu’après tout c’est bien
ce que la bande à Eugene Robinson et Nico Wenner souhaite faire depuis quelques
années : du rock de salon, habillés en costards, dépravés avec soin, et que ce
qu’ils font, ils le font bien. Juste que cela ne m’intéresse plus du tout. J’ai
toujours pensé qu’il fallait que je me méfie d’un groupe très électrique à partir du moment où
il commençait à faire des versions acoustiques de ses compositions, exercice qu’Oxbow a pratiqué dès les années 2000. Et comme je
suis particulièrement prétentieux, je ne peux qu’affirmer avoir eu raison. J’espère aussi que la prochaine étape ne sera pas avec orchestre philharmonique et chorale de jouvenceaux prépubères.
[An Eternal Reminder Of Not Today - Live At Moers est publié en double
vinyle (il y a une version rouge pour les addicts) et en CD par Trost records, maison dont la succursale Cien Fuegos réédite un par un tous
les enregistrements historiques de Peter Brötzmann mais aussi nombre de ceux de
ses camarades musiciens et amis, de Han Bennink à Sven-Ake Johansson (etc.),
des disques que je ne saurais que trop conseiller]