Entre les
cassettes plus ou moins enregistrées à l’arrache, les vrais albums studio et
les rééditions, je commence à m’y perdre complètement dans la discographie de HORSE
LORDS… c’est un vrai bordel. Alors pour faire simple on va dire que Comradely Objects est le cinquième album
de ce groupe de Baltimore. C’est déjà pas mal. Ce qui, par contre, n’a vraiment
rien de bordélique, c’est la musique hyper millimétrée, réfléchie et compartimentée
d’Andrew Bernstein (saxophones et percussions), Owen Gardener (guitare), Max
Eilbacher (basse et électronique) et Sam Haberman (batterie). Que des bonnes
têtes d’intellos/théoriciens de la musique ou – c’est comme tu veux – de profs
à lunettes et chemises à carreaux. Ça cérébralise à tout crin, ça démultiplie
les mesures arithmétiques, ça micro-décale les intervalles, ça dissonne dans la
quatrième dimension, ça répétitive – du verbe répétitiver – dans
l’inter-espace. C’est donc de la musique expérimentale qui pioche aussi bien
dans le rock arty (ou avant rock, je
traduis pour les hipsters), le jazz modal réfrigéré et la musique minimale
américaine des années 70.
Comradely Objects est l’album le plus
dense et le plus resserré de Horse Lords.
Pas le moindre moment où on peut se dire que le groupe fait trop durer les
choses, qu’il se répète inutilement ou qu’il fait du remplissage pour épater la
galerie ou tuer le temps – même le final, très répétitif et pointilliste Plain Hunt On Four trouve grâce à mes
oreilles qui pourtant n’ont plus peur de rien depuis longtemps. Tous les disques de Horse
Lords sont bons, il y en a juste des meilleurs que d’autres (moi, par
exemple, j’ai longtemps adoré Interventions,
publié en 2016) mais jusqu’ici tous les
disques du groupe manquaient aussi de cette unité de forme et de cette
endurance qui en auraient fait des bidules musicaux quasi parfaits, à
contempler sous tous les angles sans y trouver de défauts rédhibitoires. Comradely Objects est donc cet album que
l’on attendait de Horse Lords, un
disque exigeant mais jamais rébarbatif, un disque où chaque élément semble être
parfaitement à sa place et lié intrinsèquement à tout le reste sans que l’on
ait non plus l’impression de pénétrer dans l’appartement d’un vieux célibataire
qui collectionne les vinyles depuis des dizaines d’années et les classe beaucoup
trop soigneusement. Un enregistrement qui file son chemin mais qui oscille sans
cesse. Une musique dont les emprunts sont évidents (à la liste ci-dessus on
pourrait rajouter quelques motifs africanisants) et complètement formalisée mais
qui finit par s’ouvrir sur un ailleurs.
Comradely Objects est aussi l’album
le plus organique et le plus chaud de Horse
Lords. Le saxophone, parfois démultiplié, y occupe une plus large place (le
très surprenant May Brigade ou Rundling, magnifique), contrebalançant
la guitare chirurgicale et les trames synthétiques, mieux intégrées
qu’auparavant. L’énergie envahit tout, on oublie la virtuosité écrasante des
musiciens et la mise en place spartiate de la musique, la rythmique toujours prédominante ne prend pas toute la place pour autant et, pour la première fois, cohabite et
fait même jeu égal avec les textures sonores très variées d’une musique
volumineuse comme jamais. C’est donc officiel : Comradely Objects est mon nouveau disque préféré de Horse Lords. Parce que c’est aussi le
meilleur.
[Comradely Objects est publié en vinyle uniquement par Rvng Intl.]