Le monde, les autres,
l’avenir, la beauté, tout ça : essayons de sauver le monde, juste pour rire et juste avant de vomir. Une
conversation nocturne absurde et alcoolisée qui a fini par tourner en rond –
quoi faire ? – et qui s’est fatalement terminée dans la pure débilité.
Une question comme un défi, au lieu d’aller enfin dormir. Lorsque tu m’as
demandé quel super-héros sauveur de l’univers (rires) j’aimerais être et quel
super pouvoir/force rouge-bleue-verte-jaune j’aimerais posséder, je n’ai pas hésité.
Tu connais Scanners,
le film de Cronenberg ? J’aimerais être comme ça, avoir le pouvoir de
faire exploser la tête de mes congénères rien que par la pensée et réduire en
bouillie tous les crânes, liquéfier toutes les cervelles des personnes que je
déteste et je crois que ça en ferait un paquet. Mais ce n’est qu’une vue de
l’esprit, une pauvre Chimère qui en plus ne crache même pas de flammes. Les
super pouvoirs cela n’existe pas (à part le pouvoir de nuisance et de
destruction du capitalisme triomphant et mondialisé), les super-héros sont en
plastique non biodégradable et vendus dans les rayons jouets des hypermarchés, Scanners n’est qu’un film, certes
excellent, et moi je me retrouve comme un imbécile avec mes rêves ultimes d’annihilation
humaine. Mais j’ai trouvé une solution de rechange : je vais te faire écouter Lying In The
Wrong Coffin, le premier album de Schleu.
SCHLEU est un groupe basé à Lyon et formé par des musiciens
d’horizons assez différents. Le guitariste a joué ou joue encore dans Torticoli
et Tombouctou, le bassiste vient de Garmonbozia et de Süryabonali, le batteur
tape ou tapait dans Burne, Plèvre et Neige Morte et la chanteuse était
auparavant dans Le Death To Mankind. Tout ça nous donne une guitare roublarde
et vicieuse, volontiers stridente et souvent malaisante, une basse élastique et
transformiste, une batterie qui pilonne impitoyablement mais non dénuée d’un
groove certain et un chant… non, le chant on en parlera un peu plus loin, il le
mérite. Lying In The Wrong Coffin présente
un mélange d’autant plus fracassant qu’il tient étonnamment bien la route et
négocie parfaitement les virages en zig-zag et autre têtes d’épingle. Un gros
parpaing de fureur corrosive, d’acidité et de violence. De méchanceté, même. On
pense à quelques trucs datant d’une époque depuis longtemps révolue, lorsqu’un label
comme Skingraft sortait à la pelle des disques tous plus fous les uns que les
autres (le début de Zucchini Kills
rappellera immanquablement les grandes heures de Melt-Banana, Arab On Radar est
un autre nom qui reviendra souvent à l’esprit). Mais comparaison n’est pas
raison – déraison ?
Dans le grand chaudron de Schleu on
trouvera donc pêle-mêle de la no-wave, du rock régressif, quelques fuites de
jazz, de l’agilité arachnide, du poison violent, des bouts de technicité métallique
corrompue… Une grosse salade de bruits mais rien de classiquement noise-rock,
d’ailleurs je pense que les membres du groupe s’en défendraient totalement :
ils prennent un tel plaisir à nous mener en bateau, multipliant les plans, les
idées, entrechoquant leurs envies de bordel et de déflagration, alignant sans
aucune pitié crescendos assassins et tabassage de crânes, le tout entrecoupé de
moments plus calmes mais qui ne durent jamais (tu voulais un peu de répit ?
tu espérais qu’on allait te foutre la paix ? perdu !). Schleu allie fureur incisive et démence
généralisée avec un sens de la précision et une efficacité redoutable, Lying In The Wrong Coffin semble avoir
principalement été conçu dans l’optique de ne jamais laisser indifférent,
quitte à prendre le risque de devenir détestable.
Reste le chant. Et la voix. Hors de question pour cette chanteuse survoltée et un
brin allumée de faire de la figuration, de n’être qu’un prétexte pour une
musique déjà complètement folle. Le chant ne s’arrête jamais, littéralement, il
envahit tout Lying In The Wrong Coffin
et domine infatigablement la musique de Schleu.
Une déferlante de mots, encore des mots et toujours des mots, éructés, écorchés, crachés,
hurlés, feulés, persifflés, miaulés sans relâche. Pas de repos pour les larves.
Jusqu’à épuisement (le notre, bien sûr) et sans que l’on ait la possibilité de
demander grâce, supplier que le déluge s’arrête enfin. Mais elle ne lâche rien,
odieuse, névrotique, sans la moindre trace d’empathie, jouant elle aussi
dangereusement avec la détestation, pouvant nous pousser à bout car elle est là
pour faire chier : on n’a plus qu’à la fermer, c’est elle la chanteuse et
ses textes déversent inlassablement des histoires de vessie et de pisse, de
courgette, de trous, de cicatrices, de plaies, d’aiguilles, de porcs,
d’hypocrisie, de connerie.
On sort de là complètement lessivé, sans avoir exactement
compris tout ce qui venait de nous arriver. On vient d’en prendre plein la
gueule, plein pour notre grade, on le sait et parler d’inconfort serait encore
trop positif. Mais on est d’accord.
[Lying In The Wrong Coffin est publié en vinyle par Cheap
Satanism records, Degelite, L’Etourneur, L’Hygiène Sonore, Jarane, Pied De Biche, Poutch Militaire, Prix Libre record
et Rockerill records]