En matière de Droit,
le terme de contumace désigne l’action par un tribunal de juger une
personne en son absence. La condamnation éventuelle est par défaut, puisque le
prévenu n’est pas là. S’il se manifeste ou s’il se fait arrêter après coup, il
peut éventuellement être rejugé, afin qu’il puisse se défendre correctement. Mais
il arrive que la sentence soit exécutée telle quelle – la notion de Justice
n’est pas la même partout. Par extension, la contumace signifie aussi le refus
d’un prévenu de comparaitre devant un tribunal et peut être considérée comme un
acte de rébellion. Une nuance de sens tout de suite beaucoup plus intéressante.
CONTUMACE est aussi le nom du projet solo de Lionel Fernandez que l’on
connait surtout pour être, depuis plus de trente années maintenant, l’un des
deux guitaristes de Sister Iodine et une sorte de trublion extrême de la
guitare bruitiste. Une description qui vous pose un bonhomme et (contrairement
à certaines de mes mauvaises habitudes) réellement dénuée de toute ironie ou de
tout sarcasme. Si tu as déjà assisté à un concert de Sister Iodine tu sais bien
de quoi je veux parler : cette faculté qu’à Fernandez et ses camarades de redéfinir
la transcendance du bruit et du chaos, dans une catharsis électrique pouvant
toucher au sublime et à la beauté destructrice du vide, celui qui t’aspire et
se remplit de toi-même. Par contre, je ne sais pas du tout à quoi ressemble un
concert de Contumace – j’ai échoué
par deux fois à aller voir et écouter Fernandez en live – mais j’ai été plus
que surpris par Matt, son premier
enregistrement publié.
Matt explore les possibilités d’une
musique abstraite et, pour l’instant qualifions-la ainsi, bruitiste mais sans jamais
tenter de remplir systématiquement tout l’espace sonore ainsi défini. Les sons
apparaissent, pointillent, grondent doucement, s’entrechoquent puis
disparaissent, reviennent, s’effacent en partie en un lent balai incessant. En
fait, ils circulent. Ils tracent des lignes, laissent des marques, dessinent
des formes, des zébrures et des fêlures dont la nature brève et/ou fugitive suggère
un état de suspension. Dit autrement, les dix huit pistes souvent très courtes de
Matt présentent autant d’assemblages
de microparticules sonores et de fréquences, non contraintes par un langage
formel, définissant un possible, un souffle – mieux : comme induisant un
état d’immanence tranquille (que l’on pourrait opposer à la transcendance mentionnée
plus au haut au sujet de Sister Iiodine, est ce que tout le monde suit ?).
Qu’importe les sources utilisées par Lionel Fernandez/Contumace même si parfois on discerne plus facilement l’une d’entre
elles (la guitare est particulièrement perceptible sur Dubz), l’important est que le bruit, de par sa nature diffuse, est
– aussi littéralement que paradoxalement – partout.
Le bruit est partout mais il n’a donc vraiment rien d’envahissant : il est
ni « terroriste » ni agressif ni extrême pourtant il hante un disque
finalement radical. Mais à sa façon. Contumace
se joue des règles (s’il y en a encore ?) de la désintégration musicale avec
une légèreté certaine – sans volonté ouvertement subversive – et soudain le
bruit fait sens autrement, pouvant même flirter avec l’étrangeté et la poésie,
se concentrant sur la beauté brute des sons mais aussi la beauté entre les sons,
toute celle qui les relie entre eux. Chaque forme, chaque tracé et chaque
mouvement révélé dans la musique de Matt nous parle de tout
ça, de ces jeux de correspondances, de pleins et de liés, d’ombres et d’éclats,
de ce qui est et de ce qui n’est pas. Entre la présence et l’absence.
[Matt est publié en CD uniquement par Tanzprocesz]