Rien
Ne Suffit est le quatrième album de PLEBEIAN GRANDSTAND et il faut bien garder à l’esprit qu’il
s’agit de musique enregistrée en studio et pas d’autre chose. Je n’enfonce pas
les portes ouvertes, je n’énonce par des évidences et je n’essaie pas non
plus de faire mon malin : ce double 12’ est un artefact sonore, une avalanche de
techniques et de technologies, un pur travail conceptuel, une construction, une
idée architecturale – cinématographique ? on y reviendra – de la musique.
Mais de quelle musique parle-t-on ? Là aussi on y reviendra. Ces
morceaux qui s’achèvent brutalement, ces montages électromécaniques en forme de
chevauchements meta-sensoriels, ces interventions parasitaires qui finissent
par devenir la trame du disque, ex-aequo avec la batterie… Rien Ne Suffit est en soi un vaste travail de manipulation des sons
et de leur enregistrement. Est-ce naturel ? Non. Voilà un album colossal
qui dicte sa loi, une véritable épreuve d’écoute et qui n’est pas sans poser
quelques questions.
Tout est pensé sur Rien Ne Suffit,
tout suit une logique, une histoire peut-être bien. Il n’y a pas de hasard,
chaque détail a son importance, chaque élément répond à une exigence de la part
des quatre musiciens et trouve ainsi sa justification propre. On devrait même
parler de cinq musiciens puisque
l’ingénieur du son et producteur Amaury Sauvé s’est tellement impliqué dans
l’enregistrement du disque qu’il est également crédité comme compositeur et auteur.
En plus, semble-t-il, d’être responsable d’une bonne partie des éléments
bruitistes/harsh qui parcourent les quatre faces de Rien Ne Suffit (et il est sur la photo du groupe figurant au beau
milieu du livret accompagnant le disque).
On peut également admirer le jeu et la technique du batteur Ivo Kaltchev, cette
façon irrémédiable qu’il a de poser ses rythmes, tellement éloignée, à de
nombreuses reprises, de celles du black metal ou du hardcore chaotique chers à Plebeian Grandstand, la technique au service de la perfection.
Une perfection inhumaine que l’on ne rencontrerait guère que dans la frappe sèchement
digitale d’un vieux Scorn – pour les quelques passages les plus lents – ou dans
les cascades rythmiques d’un Venetian Snares dans les moments les plus fous, la
construction jusque dans la déconstruction. Sauf que l’on sait pertinemment que
les électroniciens Mick Harris et Aaron Funk manipul(ai)ent des machines. Et puis on sait aussi qu’Ivo est toujours un être vivant. Alors soudain
quelque chose ne va plus, comme une révélation, ou plutôt un doute : que
cherche à exprimer la musique de Rien Ne
Suffit ? Et donc, consécutivement : de quoi nous parle Plebeian Grandstand et son chanteur
Adrien Broué ? Les titres des compositions – et bien sûr les paroles – nous donnent des indications. A Droite Du Démiurge,
A Gauche Du Néant, plus loin Part
Maudite ou Jouis, Camarade et
enfin Nous En Sommes Là (sic) et Rien N’y Fait, finalement. De la chair
et du sang. De la rage et du dégoût. De la violence et de la révolte. De
l’amertume et du rejet. En gros, que de l’humain et encore de l’humain. En colère.
De l’humain ? Lorsqu’on regarde la pochette on ne voit pas autre chose. Toujours
la main du sapiens-sapiens, ses différents échos et actions vitales –
préhension, compréhension, appréhension – tout ça broyé, déchiqueté. Un savant
désordre géométrique, de la souffrance angulaire comme étalon de mesure. Et un
avertissement. Est-ce pour des raisons philosophiques ou des raisons esthétiques
que Plebeian Grandstand nous met
autant à l’épreuve et nous punit ainsi ? Le groupe aurait pensé son disque
comme un tout, allant jusqu’à imaginer une sorte de scénario avec tous les
éléments importants qu’il voulait absolument y inclure, les compositions
découlant ensuite et méthodiquement – il y a donc bien une
« histoire » tout comme il y a du « cinéma ». Mais il n’y a
toujours pas de vie, ni même sa négation ou son anéantissement. A quoi bon
hurler des paroles aussi fortes, à quoi bon tordre des riffs de guitare, à quoi
bon construire un tel édifice, à quoi bon inventer autant, si c’est pour
aboutir à un résultat certes admirablement vertigineux mais tellement froid ?
Cela me fait penser – puisqu’on parlait de cinéma – à ces films qui à force de
montrer finissent par se prendre les pieds dans le beau tapis de leurs
contradictions et déroulent le sens opposé, abondent dans une
direction contre laquelle ils s’élevaient au départ. Moi, passées les premières
fulgurances et passés les premiers étourdissements, je n’ai plus du tout marché
dans cette histoire là.
[Rien Ne Suffit est publié en vinyle,
CD, cassette, etc. par Debemur Morti]