vendredi 27 août 2021

Nonagon : They Birds

 

Récemment il m’est arrivé une expérience typique des internets 2.0 mais au résultat vraiment très étrange et en fait tout nouveau pour moi : j’ai été contacté via un réseau social par des anciens camarades de lycée, des personnes que je n’avais pas vues depuis tellement longtemps que, lorsque nous nous sommes décidés à nous retrouver à la terrasse d’un bar de la Guillotière infesté de hipsters lyonnais et de néo-babloches fans de chanson française post-alterno, nous n’avons même pas réussis à nous mettre d’accord sur la ou les dernières fois où nous nous étions réellement vus.
L’écart temporel entre les estimations de nos mémoires respectives s’est mesuré en années. Les souvenirs d’avant étaient parfois tellement flous et les changements de vie souvent tellement inattendus que des pans entiers de nos existences – en tous les cas de la mienne – se sont automatiquement déplacés pour réapparaitre ailleurs, sous le poids de la rencontre, sans que nous en nous rendions réellement compte. Il n’y avait rien à faire de plus et rien à dire, à part se donner des nouvelles fraîches et reprendre les anciennes conversations là où on les avait laissées, c’est-à-dire nulle part. Mais c’était beaucoup plus agréable qu’une réunion de famille à l’occasion de l’enterrement d’un aïeul commun et d’ailleurs je crois que nous nous reverrons bientôt (dans une vie il y a des personnes qui resteront toujours plus importantes que les autres).

 

 


 

NONAGON est un groupe que l’on n’oublie pas, même si on ne pense pas tous les jours à lui. En tous les cas, lorsqu’il revient dans nos vies, ce n’est jamais pour rien et cela compte vraiment. Peut-être parce que Nonagon est un groupe qui sait aussi carrément prendre son temps : They Birds est le premier véritable album de ce trio de Chicago en plus de quinze années d’existence et après trois ou quatre EP / mini-albums dont le dernier date tout de même de 2013. Entre les deux le groupe aura publié (en 2018) un split 7’ avec un seul titre, l’excellent Tuck The Long Tail Under, dont une version réenregistrée mais pas fondamentalement différente se retrouve propulsée en ouverture de They Birds.
Je suis à peu près certain que John Hastie (guitare et chant), Robert Wm. Gomez (basse et illustrations) et Tony Aimone (batterie) ne s’éloignent pourtant jamais trop longtemps les uns des autres. Même si leurs vies personnelles peuvent diverger. Car They Birds sonne exactement comme un disque de potes, un disque composé, interprété et enregistré par trois type qui s’entendent à merveille depuis des années et qui aiment toujours autant faire de la musique ensemble – on sait de source sûre que manger des pizzas et boire du café est une autre de leurs activités favorites. Nonagon est un groupe de musique comme on aimerait toutes et tous en connaitre, c’est-à-dire un groupe que l’on aurait régulièrement croisé, que l’on aurait vu grandir, vieillir aussi, que l’on aurait soutenu et que l’on serait retourné voir et écouter en concert dès que possible, à chaque fois qu’il aurait rejoué dans la cave humide de notre bar préféré.

Musicalement aussi They Birds marque un aboutissement certain. Que le groupe vienne de Chicago et qu’il enregistre ses disques au Electrical Audio (Bob Weston au mastering) n’a qu’une importance relative, disons que cela n’explique pas tout. OK le son de basse tournicotée est bien tendu et la caisse claire claque sèchement mais musicalement Nonagon n’a rien d’un groupe typiquement noise-rock, on trouve dans sa musique nombre d’influences punks tordues et émophiles, version Dischord and C° – et pas seulement à cause du chant toujours très écorché mais de plus en plus mélodique de John Hastie. Par exemple Slow Boil n’aurait pu être qu’un brûlot trigonométrique et acéré mais chez Nonagon il y a toujours ce supplément d’âme et de cœur qui change tout et dont la manifestation déterminante culmine sur Bells, presque une balade dans la nuit tranquille. They Birds est un disque aussi étonnant qu’il nous est familier et proche. Un peu comme le bestiaire de créatures volantes et improbables de la pochette : on n’en avait encore jamais vues de telles et pourtant on les adopterait toutes sans hésiter.

[They Birds est publié en vinyle par Controlled Burn records]