lundi 26 juillet 2021

DUG : 35:35


Peut-être fais-tu comme moi partie des petits cœurs sensibles et des âmes à fleur de peau qui ont pleuré toutes les larmes de leurs corps à l’annonce de la séparation de Buildings. Un vrai drame mais un drame prévisible si on se donne la peine de réécouter Negative Sound, ultime album publié par le trio de Minneapolis en 2019, mais aussi et surtout son meilleur : comment survivre à un enregistrement d’une telle noirceur ? comment ne pas y voir l’affirmation d’un profond malaise, impossible à surmonter ? comment aller encore plus loin sans risquer de se perdre ? Je ne connais pas les motifs exacts du split de Buildings mais d’une certaine façon je trouve celui-ci totalement logique.
Tout ça nous amène à Travis Kuhlman, génial batteur à lunettes et pivot central de feu Buildings, parait-il grand pourfendeur de 6-packs devant l’éternel et personnage doté d’un humour grinçant parfaitement inégalable. DUG est son nouveau groupe et c’est un duo. Outre le petit Travis logiquement crédité à la batterie, aux percussions mais aussi à la voix, le groupe est composé de Mike Baillie qui lui joue de la guitare, balance des samples et chante. Mais autant prévenir tout de suite que les amatrices et amateurs de noise-rock trépidant seront déçus·es en découvrant 35:35. Car le résultat est… très surprenant. En général je n’aime pas trop énumérer des noms d’autres groupes pour tenter de cerner un disque. En tous les cas je n’aime pas avoir recours uniquement à ce procédé là, celui des comparaisons faciles et des filiations logiques, sans trouver quelques à-côtés tirés par les cheveux et qui n’ont rien vraiment à voir avec la musique (mon grand plaisir). Mais dans le cas de DUG il sera difficile de faire autrement : 35:35 est le descendant direct des Melvins période Bullhead / Lysol ou du Boris des débuts, celui de l’album Absolutego (ce qui revient à peu près à la même chose, il faut bien l’avouer).





 

Sans mauvais jeu de mots voilà deux références de poids et l’écoute intégrale et en continu de 35:35 ne fera que confirmer le déterminisme écrasant ici à l’œuvre. On pourra détailler toutes les tournures de style et autres tics musicaux qui envahissent l’album : des intros longuettes avec des frappes de batterie solitaires et sèches comme des coups de trique, la guitare qui s’épaissit par paliers successifs, des bourdonnements de fréquences allant du grave au très grave ou des larsens impossibles, le chant beuglé avec soin mais plutôt rare, etc… On en est alors réduit à subir toute cette masse compacte et asphyxiante, assez impuissant face à un disque qui semble ne rien lâcher question inconfort et malaise. Mais on peut aussi trouver que le son de guitare aride de Mike Baillie comporte quelques petites touches d’originalité – sans jamais trop s’éloigner des poncifs du gras-doom – pour se rapprocher du barrissement bruitiste. Et on doit attendre la fin du disque et Loss pour découvrir une voix bloquée en mode narratif et aux intonations complètement glaçantes. Presque une épiphanie.
Sans grande surprise 35:35 finit donc par s’imposer, principalement à l’usure. On ne peut que l’écouter très fort, ce qui a l’avantage non négligeable de nous permettre de nous en prendre plein la gueule – toujours cette délicieuse souffrance – mais surtout de découvrir de nouveaux détails qui sauvent la mise au duo, tels que ces murmures inquiétants (samplés ?) qui apparaissent subrepticement sur The Crying Men. Ou de mieux comprendre la science de l’empilement ultra répétitif et de la montée en puissance dans la musique de DUG (le machiavélique Elevator Into The Ground) ou comment le groupe arrive à dérailler tout en restant au ralenti (Strapped To The Hood Of A Car). On n’oublie jamais complètement les figures tutélaires citées plus haut mais on finit par oublier la déception ressentie aux toutes premières écoutes de 35:35. Bien que l’on aurait préféré un disque plus personnel et plus impertinent. On espère que DUG fera beaucoup mieux à l’avenir, en prenant plus de risques et en s’amusant davantage avec certains codes musicaux au lieu de trop les respecter.

[35:35 dure trente-cinq minutes et trente-cinq secondes, est publié en vinyle rouge uniquement par The Ghost Is Clear et son artwork absolument splendide en vrai est signé Louis-Alexandre Beauregard, également connu pour avoir été le premier batteur de Big Brave]