lundi 10 mai 2021

Redskins : Rarities

 

Je vais te raconter comment j’ai découvert les REDSKINS… Parce que maintenant cela me fait beaucoup rire. Je me dis aussi que l’on peut être vraiment naïf lorsqu’on est un gamin. Gamin, je ne l’étais pourtant plus vraiment, juste un ado dans la moyenne des ados un peu paumés. Un garçon qui découvrait tous les jours des nouvelles musiques, des nouveaux groupes, en discutant avec d’autres dans la cour du lycée ou en feuilletant quelques journaux spécialisés et les rares fanzines qui parvenaient jusqu’à moi (principalement Rock Hardi). Même la télévision pouvait se révéler prescriptrice. Sans oublier la radio, puisque la bande FM avait été libérée – ou plutôt : en grande partie lâchée aux investisseurs – et que l’on pouvait enfin y découvrir de nouvelles choses, incroyables pour les oreilles.
J’étais donc lycéen et j’avais atterri chez mon père à l’âge de quinze ans, un peu malgré moi, j’allais y rester à peine trois ans. Trois années où la musique a pris encore plus d’importance. A l’époque – on est à un peu plus de la moitié des années 80 – mon père habitait à Villefranche, au nord de Lyon, une ville où il n’y avait rien à faire, sauf se bourrer la gueule jusqu’à en gerber dans le parc municipal, fumer du mauvais shit et trainer dans un bar sympa route de Thizy (le Houba-Houba) et fréquenté par quelques punks, des vieux rockers et des jeunes innocents comme moi. Il y avait Radio Calade aussi, avec des émissions parfois très bordéliques (K2R, co-animée par une personne qui maintenant bosse pour le label Jarring Effects) et d’autres complètement incroyables (Les Plaisirs Inconnus, aucun doute à avoir sur la teneur générale de sa programmation, c’est comme ça par exemple que j’ai découvert Siglo XX).








Mais tout n’était pas totalement perdu. Lyon était juste à quelques dizaines de kilomètres, à portée en prenant le train, le car ou en stop (malgré l’appréhension de tomber sur un connard). Et par chance la ligne de cars régulière qui reliait Villefranche et Lyon partait d’à côté de chez mon père et atterrissait en plein cœur de la ville, vers la gare Saint Paul. Rien de plus facile que de faire craquer les cours sans penser aux conséquences, de prendre le car – cela coutait encore presque rien – et de passer l’après-midi à Lyon, sans but particulier sauf avoir le plaisir d’être loin de chez moi, loin des contraintes et de faire quelque chose de vaguement interdit. Parfois il y avait un concert qui me faisait de l’œil mais la plupart du temps je ne pouvais pas y aller, à moins de profiter d’une absence paternelle ou de mentir en disant que j’allais dormir chez quelqu’un (l’excuse classique) et de rentrer en stop ou d’attendre que la nuit passe et que l’heure du premier car du matin arrive. Mais il avait aussi les magasins de disques. Et les longues et nécessaires économies sur l’argent que m’envoyait ma mère pour mon anniversaire, la monnaie carottée sur l’argent des courses ou le billet de dix francs piqué dans le sac de ma belle-mère. Pour un seul résultat : avoir de quoi acheter un disque, parfois deux.
Heureux hasard, pas très loin du terminus du car il y avait un magasin minuscule dont parlaient parfois les punks du Houba-Houba. Attaque Sonore se trouvait rue du Docteur Augros, une petite rue reliant le quai de Bondy en bordure de Saône à la place Saint-Paul, juste à côté du café de la Graine. Un tout petit local rempli de disques. C’est là que j’ai acheté le seul et unique album des Redskins, Neither Washington, Nor Moscow, tout un programme correspondant bien à mes aspirations politiques alors naissantes. J’avais découvert le nom de ce groupe anglais en scrutant la pochette d’un disque des Bérurier Noir. Etudier les artworks et les notes des pochettes était un autre moyen de trouver des informations de première importance. Au verso du maxi Joyeux Merdier on voit les deux Bérus et en particulier François sautant en l’air et portant un t-shirt sur lequel est écrit « Redskins ». Et là je m’étais dit : Wouah ! ce groupe ne peut être que bien ! Ce que m’avait confirmé une vague connaissance. Lorsque j’ai trouvé Neither Washington, Nor Moscow chez Attaque Sonore je l’ai immédiatement embarqué, alors que j’avais prévu d’acheter tout autre chose. J’étais trop heureux de ma découverte.
Je n’avais encore jamais écouté une seule note de la musique des Redskins. Je pensais qu’il s’agissait, musicalement, d’un groupe très punk, pourquoi pas proche de Crass que j’écoutais beaucoup à ce moment-là et que j’adorais. Découvrir Neither Washington, Nor Moscow a donc été une vraie surprise : je m’attendais à tout sauf au mélange soul / punk du groupe. Ni à tous ces cuivres. Mais je suis immédiatement tombé amoureux de ce disque, de son côté chaleureux et franc redéfinissant la colère punk et les luttes d’opinions des Redskins (certains étaient même membre du Labor Party).

Publié début 2021, Rarities vient miraculeusement compléter la discographie du groupe seulement composée d’un unique album, d’un live posthume et d’un indispensable 12’ consacré lui à des Peel Sessions également très recommandables. Rarities regroupe nombre de titres à l’origine publié sur des formats courts. Il y a peu d’inédits en tant que tel – quelques introuvables quand même, comme cette reprise de Six Tons (Coal Not Dole) de Merle Travis – mais toutes les versions des titres que l’on connait déjà sont ici différentes et la plupart du temps bien meilleures (celle de Keep On Keeping On est incroyable). Avec le temps la grosse production de Neither Washington, Nor Moscow peut sembler datée – ce son de batterie lourdaud, tellement années 80… – ce qui n’est pas le cas de celle de Rarities, beaucoup plus brute, encore plus énergique et remplie d’un sentiment de vérité. Ce même ressenti que j’avais éprouvé il y a plus de trente-cinq années en découvrant la musique des Redskins… Je suis du genre idéaliste, tu sais.