lundi 8 février 2021

Exhalants / Atonement


C’est déjà l’heure du deuxième album  pour EXHALANTS, jeune trio originaire d’Austin / Texas. Deux années après un premier essai tout ce qu’il y avait de plus réussi et de plus prometteur, Bill Indelicato (basse), Tommy Rabon (batterie) et Steve Pike (guitare et chant) sont donc de retour avec un Atonement qui casse littéralement la baraque et repousse les limites de ce cher bon vieux noise-rock à papa. Oui. Si j’étais en train de te parler musique en vrai, comme dans l’ancien temps lors d’une conversation enflammée autour d’un pack de bières ou d’une bouteille de vodka glacée (mais on peut toujours rêver), tu entendrais ma voix tremblotante de houblon et d’électricité te faire l’apologie d’un album assurément et lourdement furieux et pourtant d’une subtilité certaine.
La subtilité dans le noise-rock qu’est-ce que cela signifie ? Rien d’autre que la faculté et le talent de ne pas se laisser déborder ni dévorer par ses propres démons électriques, ne pas tout abandonner à la facilité du bruit divin, aux sirènes des guitares qui découpent grossièrement, aux rythmiques qui ne font que tout écraser et au chant beuglard sans vergogne. Foncer droit dans le mur et réussir à passer au travers, il y a finalement très peu de groupes qui y sont arrivés (meilleurs exemples en la matière : Unsane et Cherubs) et tellement d’autres qui ont échoué, se contentant de singer ce que finalement ils sont dans la triste réalité, des bourrins plus ou moins sympathiques (non, pas d’autres exemples à citer sur ce coup là, mon secrétariat personnel est déjà débordé par tout un flot de courriers d’insultes avec menaces à la clef).

 


 

Et puis il y a tous les autres groupes, ceux que je préfère et de loin, qui ont compris que pour faire ressentir un peu de personnalité dans leur musique il faut surtout y insuffler de l’étrangeté, de la déviance, de la roublardise, du vice – parfois les quatre à la fois. C’est dans cette catégorie de groupes que je range – façon de parler, évidemment – Big Black, les Butthole Surfers, Distorted Pony, Slug, US Maple, Dazzling Killmen, Craw ou autres Couch Slut et Hoaries (pour parler cette fois de l’époque actuelle). Des groupes qui musicalement n’ont rien à voir entre eux mais qui possèdent tous quelque chose de différent. Un caractère propre. Et Exhalants fait partie de cette élite. Atonement a été publié par Hex records, un label de Portland dont le catalogue révèle des goûts très sûrs (Ed Gein, Playing Enemy, Grizzlor, The Great Sabatini, Great Falls, Gaytheist, USA Nails et tout récemment Alpha Hopper dont on reparlera bientôt).
Les premières secondes de The Thorn You Carry On Your Side et sa ligne de basse à la Fudge Tunnel nous donnent une précieuse indication : Exhalants n’aura rien à envier aux autres. Bang puis Passing Perceptions confirment immédiatement. La basse est placée en tête de gondole et le restera jusqu’à la fin disque, monumentale. Ce n’est pas un hasard non plus si en énumérant le line-up du groupe j’ai précisément commencé par nommer le bassiste et sa grosse (grosse) Rickenbacker. Rarement j’aurai écouté un enregistrement où cet instrument joue un rôle aussi central, pivot, éclairant et fédérateur. Tu connais mon amour biblique et quasiment inconditionnel pour les groupes dotés d’une quatre-cordes proéminente – non, pas d’analyse psychologico-phallique s’il te plait – pourtant Exhalants atteint un nouveau degré de monstruosité avec des lignes de basse alliant sécheresse qui claque façon Table et puissance de frappe digne d’un Godflesh.

Atonement
c’est aussi des tonnes de trouvailles et de détails qui mis tous ensemble donnent à la musique d’Exhalants son caractère personnel. Le très post hardcore (dans le sens employé dans les années 90) Definitions évoque un A Minor Forrest en plus torturé. Quant à Lake song et ses instruments additionnels – de la trompette et du violoncelle – je ne peux pas m’empêcher d’y trouver comme une pointe de June Of 44 et d’Engine Kid.
Sur les compositions les plus virulentes, les plus lourdes et les plus puissantes c’est la guitare qui occupe le poste de coloriste et assure le contrebalancement. Une guitare qui n’hésite pas à déraper, à irriter ou à enflammer mais surtout qui ne rechigne jamais à recourir au pouvoir des mélodies. Un enveloppement subtil et bien soigneusement délimité dont l’évidence princière s’impose face aux martèlements terrassiers non domesticables du couple rythmique. L’équilibre parfait entre la fureur et l’éclat, entre la crasse et la noblesse. Avec Atonement les trois Exhalants s’imposent parmi les plus grands et les plus dignes représentants d’un genre – le noise-rock – qui a donc toujours son mot à dire.


[Atonement est publié en CD et en vinyle noir, bleu transparent et rose uni ou fruité-marbré par Hex records]