mercredi 5 août 2020

Cuir / Single Demo




Sortir les stéréotypes des placards et du musée du cynisme et de l’indécence, les étaler au grand jour et sans aucune modération, s’en faire une crème beauté fraicheur ou s’en servir comme d’un soin exfoliant et s’en foutre de partout reste le meilleur moyen de se moquer de tout. Et de se moquer de soi-même, ce qui ne gâche rien et restera toujours la seule chose à faire. Avec ses textes crus et violents dignes d’un éternel adolescent complètement attardé mais qui s’en fout totalement – après tout le « retard » n’est que dans le regard des autres et dans ce que tu leur as juste permis de voir – CUIR est le truc à la fois le plus véridique et le plus désillusionné qu’il nous ait été donné d’écouter ces derniers mois. Ne rien avoir à dire à part des histoires de nombril et de défonce mais le dire quand même : si cela te fait chier c’est ton problème et uniquement le tien.
Cuir est un one man band monté par Doug, chanteur de Coupe Gorge et de Sordid Ship. Mais là il est donc tout seul avec sa belle voix de braillard punk, sa guitare, sa boite-à-rythmes…  et son vieux synthétiseur au kitch volontairement envahissant. Single Demo est la version augmentée d’un inédit et en vinyle de deux cassettes de Cuir publiées courant 2019 par Offside Tapes : Single Single et Demo Demo Demo. C’est d’apparence complètement rudimentaire mais en fait incroyablement bien troussé, suffisamment simple pour être efficace et jouissif, complètement signifiant significatif  malgré ou plutôt grâce aux thèmes abordés dans les paroles. Pas besoin de tendre l’oreille ni de perdre son temps à les lire sur la pochette intérieure pour comprendre que ça parle d’ennui, d’envie de tout foutre en l’air, d’éclater les têtes de connards et de connasses que l’on croise tous les jours au coin de la rue, que ça parle d’une vie de merde, de haine de soi lorsqu’on a la tête éparpillée en mille morceaux le lendemain mais que ça ne parle pas vraiment de sexe stéréotypé, normalisé et consommable (le véritable ennui).
Du sexe il y en a éventuellement, mais en fait pour de faux, dans la présentation et tout le soin apporté au disque avec ce vinyle rose ou le masque en latex également rose porté par Doug sur la photo aux couleurs saturées – si ton rêve était de te faire offrir une paire de menottes moumoutées léopard pour ton noël pseudo s/m avec ta meuf ou ton mec du moment c’est raté. Au passage on remarque la présence ostentatoire d’un bédo bien troussé et d’une cannette de 8.6 mais tout ça, encore une fois, ce n’est que du visuel, pour alimenter la grosse blague que serait Cuir (as-tu quand même noté ce badge de Veuve SS ? dans le genre groupe pour lequel l’image et les visuels étaient très importants parce qu’en apparente contradiction avec la violence des textes et de la musique on a guère fait beaucoup mieux ces dernières années).
Reste que malgré toute son ironie et son jeu de cache-cache misère autour de la complaisance Demo Single fonctionne à plein régime. Les compositions sont très courtes, lapidaires presque, bien mémorisables grâce à une guitare qui aligne du riff de punk au kilomètre et qui surligne parfois (Tension Nerveuse) et surtout grâce à ce synthétiseur qui fait au moins la moitié du boulot et est quasiment omniprésent – ce qui permettra aux nécromanciens des temps futurs de classer Cuir dans la case synthpunk sans trop se tromper. Il y a beaucoup d’idées et plein de ressources là dedans, tout ce qu’il faut pour s’intéresser à ces histoires de gerbe, de défonce et de lendemains qui se ressemblent trop, tout ce qu’il faut pour s’agiter en même temps, brailler, se défouler. Et la blague, supposée comme telle mais ça aussi c’est ton problème, aura en fait une suite, parce qu’elle le vaut bien : Doug / Cuir est en train de mettre la dernière main à un nouvel enregistrement que l’on espère tout aussi faussement débile mais encore une fois complètement nihiliste.

[Single Demo tourne en 45 tours et a été pressé en vinyle rose par Offside records]