Retour aux plaisirs simples d’une vie de
débauche inutile. L’un de mes petits bonheurs post déconfinement a été de
sortir de chez moi pour faire un tour dans les magasins de disques de la ville.
Oh pas forcément pour acquérir à tout-va telle ou telle nouveauté mais pour
avoir la satisfaction de tremper mes doigts dans les bacs de vinyles et de
tripoter des pochettes de disques (note importante : ceci est aussi
valable pour les librairies et les bouquins). On est bien peu de chose, moi le
premier et je l’assume.
Et voilà que maintenant j’ai envie de te
raconter ma vie, enfin j’ai envie de la raconter encore plus que d’habitude et
de te parler de ce disque publié le 31 décembre 2019 et qui à ce titre aurait
pu tomber dans les oubliettes complétistes pour cause de referendum / top 50 /
best of d’une année écoulée qui se termine toujours en avance (la faute aux dead
lines exagérément peu flexibles et à la frénésie de nouveautés). Mais on oublie
trop souvent que la musique est un vaste apprentissage du temps ainsi que l’une
des plus belles façons de le tromper. Le temps est l’ennemi du chroniqueur de disques
mais il est l’allié et le complice de l’amateur de musique. Voici donc un
disque que j’écoute très souvent en ce moment et que je n’écoute que d’une
seule façon : je ne fais rien d’autre en même temps, je suis tout à lui
comme il est tout à moi. Rien que nous deux, seuls, et allongés lascivement sur
mon vieux canapé rouge.
Mais revenons-en au début. J’avais donc
le nez dans un bac de disques lorsque je me suis retrouvé comme contraint et
forcé de relever la tête et de tendre un peu mieux l’oreille. J’ai demandé au
taulier du magasin ce que nous étions en train d’écouter et voilà ce qu’il m’a
répondu : « ça ? c’est EERIE
FAMILY le side projet de membres de The Hex Dispensers et c’est
vachement bien ! ». Je résume, évidemment. Comme je ne vais pas trop
m’étendre sur le petit sourire en coin du dit taulier qui me connaissant plutôt
bien avait peut être bien fait exprès de mettre ce disque en écoute, tout en sachant
pertinemment que j’allais le remarquer. Vendre des disques, c’est un vrai
métier alors arrêtons d’en acheter sur des sites internet commerciaux
tentaculaires.
Je suis reparti chez moi avec ce premier album sans titre d’Eerie Family, duo composé d’Alex Cuervo
(synthétiseur et chant) et d’Alyse Mervoch (batterie et chant), deux éminents membres de The Hex Dispensers
(donc), groupe garage punk pop whatever qui avait stoppé toute activité en 2017
mais qui semble t-il aurait annoncé son retour pour 2021 et une tournée
européenne – ça, on verra bien. Et en fait parler de side-project au sujet d’Eerie Family me semble plutôt incomplet
et limitatif tant le duo possède son identité propre, la plupart du temps éloignée de toute
forme de garage tout en y faisant parfois fugitivement référence. Il n’y a (presque) pas de guitare sur ce disque mais –
évidemment – énormément de synthétiseurs acidulés ou bourdonnants, égrainant
des mélopées un peu mélancoliques ou des nappes sonores fantomatiques.
Pourtant
il n’y a rien de fondamentalement déprimant ici, plutôt une vision très
intimiste et délicatement feutrée d’une musique avant tout basée sur des
mélodies ténues mais persistantes, la complémentarité des deux chants, une
énergie jamais démentie malgré le caractère délicat de l’ensemble et un mélange
des genres (pop synthétique + rock atmosphérique + new wave + shoegaze electro
+ ce que tu y trouveras) réussi comme rarement. Pour s’en rendre compte il
suffira d’écouter Everybody Disappear qu’Eerie Family a très facétieusement placé au début de l’album, une ritournelle acidulée dont l’allant est délicatement tempéré par une pointe de mélancolie... Même la
(difficile) reprise du Wave Of Mutilation
des Pixies s’avère convaincante parce qu’aussi personnelle que reconnaissable,
ce que devrait être toute reprise digne de ce nom.
[épilogue] Alors que je l’écoutais pour la
quatrième fois de la journée je me suis mis à repenser aux effets étonnants et peut-être
paradoxaux d’Eerie Family. Voilà un
disque découvert (presque) par hasard chez un disquaire de la ville au cours
d’une balade dans un monde plus ou moins réel et très loin de me convenir ;
et voilà un disque qui me donne plus que tout envie de rester enfermé chez moi,
pour l’écouter encore et encore. Je vais disparaitre.
[ce premier album sans titre est publié en vinyle par Alien Snatch !]