mardi 14 avril 2020

Cocaine Piss / Passionate And Tragic


Si je m’étais arrêté à la toute première impression – pas très bonne, pour tout dire – que j’ai eu de COCAINE PISS j’aurais lâché l’affaire depuis un moment. Je me rappellerai pendant encore longtemps de ce concert de 2016 prévisiblement foutraque et de la chanteuse / hurleuse Aurélie Poppins passant la plupart des morceaux dans la fosse ou plutôt devant la scène, au milieu des gens, à gesticuler comme une basue, à strider tout ce qu’elle pouvait, à se rouler par terre et à faire souvent n’importe quoi tandis que sur scène trois garçons envoyaient un punk noise rapide comme une montée de speed et acide comme un jet de pisse. Expliqué comme ça je reconnais que ça fait plutôt rêver. Ce qui m’avait alors refroidit ce n’est pas le groupe ni sa musique, bien au contraire, mais l’attitude d’un public visiblement attiré par un spectacle prometteur et la réputation d’un groupe complètement diiiiiiiingue.
Je ne remettrai pas en cause ce qu’est Cocaine Piss (et bien que les donneurs de leçons affirmeraient qu’on a le public qu’on mérite) mais regarder ces petits mecs et ces petites meufs tout bien fringué.e.s comme il le faut en prêt-à-porter rebelle, désireux.ses de s’offrir un début de weekend trop barré avant l’inévitable soirée dance-party jusqu’à l’aube fut un moment de rare consternation : je crois que c’est la première fois que je voyais des spectateurs et des spectatrices se coller à une chanteuse pour faire un selfie avec elle alors qu’elle était en plein milieu d’une chanson. Elle se laissait faire Aurélie, je ne saurai jamais si elle aimait ça ou si elle était simplement de bonne composition et ne voulait pas protester, préférant secrètement que quelqu’un monte enfin sur la scène pour se jeter à son tour dans la fausse et mettre un peu plus de bordel à un concert qui aurait été à deux doigts de basculer s’il n’avait pas été le prétexte à tant de volonté de représentation.
Je ne le saurai donc jamais, à moins de revoir Cocaine Piss en concert, ce qui a bien failli arriver trois ans plus tard, alors que le groupe tournait pour défendre Passionate And Tragic, publié au début du mois d’avril 2019 par Hypertension records. Mais je n’ai pas pu m’y rendre et ce n’est que partie remise, puisque au fond de moi je reste convaincu que ce concert de 2016 n’était que la simple déconvenue d’un jour et surtout parce que j’aime énormément les disques de Cocaine Piss.





Pour le groupe tout aurait commencé comme une sorte de blague montée sous la nécessité du moment : je ne sais pas si l’histoire d’une formation à l’arrache par des musiciens et musiciennes pour assurer la première partie d’un concert qu’ils organisaient chez eux à Liège est vraie ou pas mais cela indique au moins que l’urgence est la principale caractéristique de la musique de Cocaine Piss. The Pool, d’abord publié en cassette en 2015 puis réédité sur un vinyle monoface en 2018, n’y va pas par quatre chemins avec son punk ultra hystérique, anguleux, désossé et méga vitaminé servant d’écrin au chant suraigu et aux paroles vitriolées et onanistes d’Aurélie Poppins. Un enregistrement qui pose les bases d’une musique qui ne changera pas beaucoup au fil des disques suivants, The Dancer en 2016, Piñacolalove en 2017 et, donc, Passionate And Tragic.
Tout au plus notera-t-on sur ce dernier un (très) léger rallongement des compositions, plus souvent au delà de la minute qu’auparavant. On remarquera aussi que depuis The Dancer c’est ce gros pervers de Steve Albini qui enregistre le groupe, lui faisant partiellement perdre en rugosité ce qu’il gagne en efficacité sonore – un bémol cependant : sur Passionate And Tragic le son de la caisse claire est un peu trop typique du grand Steve, trop sourd et à mon sens et pas assez tranchant pour bien coller à Cocaine Piss. Tout le reste semble d’une simplicité inévitable mais définitivement efficace, complètement fou et ce jusqu’à l’absurde, à base de riffs découpés à la tronçonneuse, de quelques passages étourdisants darpèges dignes d’un East Bay Ray, de rythmiques éjaculatoires et d’un chant de sirène destroy qui pour rien au monde ne renoncerait à sa liberté.
Avec ses paroles en français Eat The Rich (dont le clip m’a au passage appris que depuis quelques années une bassiste a intégré le groupe) fait figure de principale surprise de l’album. Un titre tellement drôle et à la fois tellement cynique – en un mot : punk – que je regrette qu’Aurélie Poppins n’ait pas eu cette bonne idée bien avant. Non seulement elle arrive à faire sonner son français comme jamais, très méchamment, mais en plus elle balaie d’un revers de main rageur toute critique lui reprochant sa
supposée débilité. Parce que celle-ci est parfaitement assumée et qu’elle a beaucoup plus de sens que toutes les conventions et que toutes les apparences – « Toi et moi on n’est pas faits pour durer / Je suis avec toi car je dois manger / Tu es trop mignon sur mon canapé / A t’écouter parler toute la journée / Je vais te bouffer / Petit gosse friqué / Petit déjeuner ».  Dommage que sur Passionate And Tragic il n’y ait que Eat The Rich avec des paroles en français… et en espérant que sur le prochain enregistrement il y ait bien plus de titres comme ça.