mercredi 22 avril 2020

Berceau Des Volontés Sauvages / Seuil





Si je n’étais qu’un gros tricheur j’affirmerais avoir deviné tout seul comme un grand et ce dès les premières secondes de Rêverie Nonchalante que le duo Berceau Des Volontés Sauvages est particulièrement porté sur le côté cinématographique de la musique. En effet comment ne pas y penser alors que retentissent ces sons de cloche ouvrant la voie à des ambiances subtilement ombrées d’où semblent s’échapper quelques fantômes errants et autres esprits gazeux ? On s’y croirait vraiment, baigné dans des atmosphères aussi oniriques qu’énigmatiques... et comme dans un vieux film, précisément, un vieux film en noir et blanc très contrasté et à l’imagerie jouant sur le mystère, l’ésotérisme mais aussi, pourquoi pas, la tension et l’angoisse (certes, beaucoup plus rarement).
Mais il est vrai que Berceau Des Volontés Sauvages s’est tout d’abord illustré lors de ciné-concerts consacrés au film Une Page Folle (狂った一頁Kurutta Ippēji dans le texte) du réalisateur Teinosuke Kinugasa et datant de 1926. Un choix osé et difficile mais qui en dit long sur l’ambition du groupe, Une Page Folle passant à juste titre pour l’un des chef-d’œuvres du cinéma muet avant-gardiste et d'un certain surréalisme en lutte contre le naturalisme. De cette expérience que semble-t-il le duo renouvelle de temps à autre il reste nombre de traces tangibles sur Seuil. Disons que cette influence agit comme un point de départ possible, comme l’indicateur de pistes à suivre mais ce premier album va plus loin, élargissant les horizons d’un groupe qui joue sans complexe la carte de la relecture d’une ascendance clairement désignée mais qui ne s’en laisse pas compter pour autant.
Berceau Des Volontés Sauvages nomme volontiers son ou plutôt ses terrains de jeu : la musique ambient, le drone, la musique psychédélique, le kraut rock, la musique électronique et les musiques de films (donc). Il y a évidemment une corrélation chronologique et historique et un tronc commun à tous ces « genres ». Si je mets des guillemets c’est parce qu’il me semble, encore une fois, que parler de genres est aussi inapproprié que parler de fin en soi et que toutes ces influences sont avant tout des moyens, des vecteurs ; tout comme les deux membres du groupe utilisent un véritable arsenal d’instruments avec, pêle-mêle : percussions (gongs, cloches, toms et même cartouche d’obus !), synthétiseurs analogiques (Arp Odyssey, Korg, Moog, Arturia MiniBrute…), guitare et basse ou mélodica… la liste est longue mais son détail permet de mieux saisir, là encore, cette double idée de tronc commun et d’exploration continue.
Seuil procède par vignettes ou plutôt par séquences – pour rester dans le langage cinématographique – et navigue entre parties percussives presque rituelles, plages très atmosphériques, déclarations plus bruyantes à la guitare, nappes synthétiques arborescentes, lents tourbillons sphériques : Berceau Des Volontés Sauvages possède suffisamment de personnalité pour se permettre d’aller de l’un à l’autre et de dérouler ce qui effectivement fait penser à la bande-son imaginée d’un film tout aussi imaginaire, entre lumières brouillées et ombres fantasmagoriques. Sur le final Echo D’une Réalité Manifeste un saxophoniste invité vient ajouter toujours plus d’onirisme apaisant à un disque aux milles parfums mystérieux et captivants : Seuil nous échappe un peu plus tout comme en même temps il nous prend, avec assurance, sans aucune trace de fébrilité, dans ses bras rêveurs et tranquillisants.

[Seuil est publié en LP et en CD par Altaar records… mais sa pochette gatefold est tellement réussie et tellement belle que la version vinyle s’impose d’elle-même]