lundi 13 janvier 2020

Sordide / Hier Déjà Mort


Qu’est ce que le black metal ? A vrai dire je ne le sais pas vraiment. Quand j’étais gamin et que je faisais craquer les cours l’après-midi, je partais avec les copains pour Paris. Nous montions dans le premier train qui reliait notre banlieue à la grande ville et arrivés gare du Nord nous prenions invariablement la ligne 4 du métro. Il n’y avait pas encore de portiques à l’entrée des gares, passer au dessus des tourniquets du métro était un jeu d’enfant (au propre comme au figuré) et les contrôles étaient rares. Lorsque nous nous faisions gauler par les contrôleurs de la SNCF ou de la RATP il n’y avait que deux méthodes : le baratinage avec tentative d’apitoiement – taux de réussite 90 % – ou bien la fuite à travers le dédale des couloirs du métro en slalomant entre les usagers trop pressés pour faire attention à nous – taux de réussite 100 % et taux de satisfaction 200 %. Il n’y avait pas de caméras de surveillance non plus. Et pas de flics armés disposés à taper la jeunesse. Paris était à portée de main de tous les gamins qui voulaient s’amuser pour pas cher pendant quelques heures.
Avec le métro 4 nous pouvions rejoindre très rapidement les Halles et son centre commercial avec ce grand supermarché culturel où nous pouvions demander à écouter tous les disques que nous voulions – il y avait des sortes de cabines pour s’isoler – et nous passions des heures à découvrir les vinyles que nous allions voler un peu plus tard. C’était très facile de voler des disques : pas d’antivols électroniques et pas assez de vigiles pour surveiller le flot incessant de clients*.


Mais je préférais prendre le métro 4 dans l’autre sens jusqu’à la Porte de Clignancourt. C’était le moyen le plus rapide de rejoindre les puces de Saint Ouen et ses nombreux disquaires. Chez ces disquaires là impossible de voler quoi que ce soit, tout le monde était surveillé de très près. Par contre faire des échanges avec des disques volés ailleurs était possible et personne n’y trouvait rien à redire. C’était le paradis. Lorsqu’un disque ne me plaisait pas je pouvais le refourguer aux puces et j’échangeais deux ou trois disques volés contre un disque que me faisait particulièrement envie et que je pouvais trouver nulle part ailleurs. C’est comme cela que je me suis procuré Welcome To Hell, le premier album de Venom publié par Neat records. Le disque avait déjà presque deux ans lorsque je l’ai trouvé en fouillant dans un énième bac et il allait bientôt être réédité par Bernett records avec une pochette un peu modifiée, en fait le logo avec le nom du groupe sera actualisé pour ressembler à quelque chose de plus agressif. Je crânais comme un putois parce que personne d’autre ne possédait la version Neat records de Welcome To Hell. C’est ce même logo modifié que l’on retrouvera sur l’album d’après : Black Metal (1982, publié en France en 1983, toujours par Bernett records).
Pour moi Welcome To Hell et Black Metal étaient des albums sérieux. Au verso de la pochette du second il y a des photos de chacun des membres de Venom et on peut voir Cronos (basse et chant) en plein simulacre de messe noire avec pentagramme dessiné sur le sol et bougies allumées. Moi j’y croyais. Je n’avais pas compris que tout ceci n’était qu’une blague, mais à quatorze ans on peut prendre n’importe quoi pour argent comptant dès qu’il s’agit de musique et cela a été ma principale erreur de jeunesse : être trop sensible à l’exemplarité – cela ne s’arrangera pas lorsque je me mettrai à écouter du punk et du hardcore beaucoup plus sérieusement. 

Le black metal n’existe donc pas. Enfin je crois. Pourtant dès 1986 / 1987 les norvégiens de Mayhem – encore tout gamins eux aussi – ont pris les fantaisies de Venom au pied de la lettre, ce sont eux qui ont réellement donné naissance au genre, du moins dans sa forme old school. Puis tant de groupes obsédés par la violence musicale et la haine ont débarqué. Beaucoup de fachos également. Tout ça à cause de Venom qui voulait juste donner un côté un peu plus particulier à sa musique en l’agrémentant d’un décorum un peu sulfureux ? Soyons clair : la musique de Venom n’était qu’un pompage assez simpliste de celle de Motörhead, encore plus mal jouée et avec un son réellement dégueulasse. Il n’empêche que si le point de départ du black metal est un malentendu (sic) il y a toute une histoire musicale derrière. La naissance et le développement d’un genre avec ses codes et ses multiples ramifications, comme à chaque fois dès que l’on parle de metal extrême. 






Aujourd’hui il y a tous ces groupes qui jouent la comédie du black metal et qui se pavanent au HellFest devant des parterres d’employés de bureau, de commerciaux et de conseillers bancaires. Il y a ceux qui puent de la gueule et mériteraient de crever, chose qu’eux-mêmes réclament pour les autres à longueur de disques à la violence standardisée et préfabriquée. Et puis il y a ceux qui se sont intéressés au genre parce qu’il peut également être le vecteur d’une colère, d’une frustration et d’un ressentiment nihiliste débouchant sur un peu plus de réflexion, même simpliste. Parce que le black metal a fini par être perméable à d’autres genres musicaux et en matière de musique il n’y a rien de mieux que la batardisation. Il existe donc une approche punk et crust du black metal, une approche plus concernée qui rend le truc encore plus insoutenable parce que nous parlant en même temps d’impasses politiques et sociétales dans un monde en voie d’effondrement, ce monde que nous pensons encore posséder. Il y a des groupes qui n’ont plus que cette ressource là, celle de dégueuler leur haine et leur frustration parce que c’est l’ultime façon de ne pas se laisser faire. Sérieusement cette fois. Ce n’est peut-être qu’un repli sur soi-même mais il est malgré tout salvateur. SORDIDE est de ces groupes là. Hier Déjà Mort est le troisième album du trio et a été publié en février 2019 par Throatruiner records et Sorcerer Productions

* bien plus tard l’arrivée du CD permettra au moins pour un temps de voler encore plus de disques et avec encore plus de facilité (les étiquettes antivol pouvaient être enlevées tellement simplement que cela en devenait risible) et je crois que c’est bien là le seul avantage que l’on pouvait alors trouver aux compact discs qui se revendaient très bien, on volait alors n’importe quoi du moment que l’on savait que l’on allait se faire de la thune