Je ne vois jamais les choses venir. Pire, je ne les vois jamais arriver. Je veux dire : une fois qu’elles sont définitivement là, comme un train fantôme qui s’arrête dans une vieille gare désaffectée, et que le moment de reprendre contact avec une réalité non désirée c’est juste maintenant. Pour la musique c’est exactement le contraire. Elle me permet d’oublier tout le reste, ce qui me tombe sur le coin de la gueule précisément, alors que j’avais pourtant décidé que le moment était le bon pour choisir de la redresser un peu et regarder plus loin que l’horizon imaginaire d’un monde qui n’existe pas réellement. La musique fait partie de ce monde là. Les deux sont liés.
Donc, passée la surprise d’un album sauvé des eaux et miraculeux de Bellini, je pensais l’affaire entendue : je n’entendrai pas reparler de Giovanna Cacciola et d’Agostino Tilotta de sitôt. Il faut dire que Before The Day Has Gone possède un côté particulièrement définitif et tellement testamentaire. C’était sans compter sur Uzeda, l’autre groupe de ces deux là. Et si je m’intéressais un peu plus à ce qui se passe autour de moi j’aurais appris qu’en 2018 UZEDA avait fêté ses trente années d’existence en organisant une grosse teuf chez lui, en Sicile, une série de concerts pour lesquels Agostino et Giovanna ont invité quelques uns de leurs groupes et amis de toujours, Shellac et The Ex bien sûr, mais également une reformation de… June Of 44 (!). Je comprends parfaitement pourquoi je n’ai pas été personnellement invité à une telle fête et je comprends encore mieux pourquoi je n’étais de toute façon pas au courant : je n’aime pas fêter les anniversaires, ceux des autres comme les miens.
J’imagine que dans la foulée de tous ces concerts – parce qu’Uzeda ne s’est pas contenté de fêter ses trente ans en Sicile, le groupe en a profité pour aller jouer ailleurs – est née l’idée d’un nouvel album. Celui-ci a été enregistré en janvier 2019 et à la maison par Steve Albini qui passait par là, tandis que le mastering a été assuré par Bob Weston (la fine équipe made in Chicago / Touch And Go). Quelques détails techniques qui permettent de se faire une idée bien précise de comment sonne exactement Quocumque Jeceris Stabit, le cinquième album d’Uzeda et le premier depuis treize ans. Déjà.
Disons-le tout de suite : l’album Before The Day Has Gone de Bellini avait marqué l’année 2018. Il en sera de même avec Quocumque Jeceris Stabit et Uzeda. Ce titre en latin sonne comme une affirmation, même s’il comporte une faute d’orthographe que même les piètres latinistes ou les spécialistes en héraldique n’auront pas manqué de remarquer. S’agissant de reprendre la devise figurant sur le blason de L’Ile de Man – un caillou situé entre la Grande Bretagne et l’Irlande et bénéficiant d’un statut spécial lui conférant la position de paradis fiscal – il aurait plutôt fallu écrire Quocunque Jeceris Stabit*. Mais ce n’est qu’un détail (personne n’est parfait) et si mot à mot la devise en question se traduit par « Où que tu le jettes, il restera debout » sa vraie signification se trouve dans les notes imprimées sur la pochette intérieure du disque, rubrique remerciements et dédicaces où il est écrit : « this album is dedicated to those who struggle to conserve the right to be themselves ». Comme à défaut de parler couramment le latin tout le monde comprend à peu près l’anglais je ne ferai à personne l’affront de traduire.
La vérité est ce qui importe le plus pour Uzeda. Et lorsque je parle de vérité je parle d’une vérité personnelle, d’une démarche entière et honnête. Dont Quocumque Jeceris Stabit est un nouvel aboutissement. Encore une fois les textes de Giovanna Cacciola ont toute leur importance et il est nécessaire de les lire. Pas forcément tout de suite, toutefois. On peut et on doit tout d’abord s’enivrer de la musique d’Uzeda, de ce noise rock qui n’a pas grand-chose de rock et plus grand-chose de noise, traversant de plus en plus les mêmes contrées intimistes et à fleur de peau qu’un Bellini (évidemment) mais aussi qu’un Heliogabale (logiquement), celles d’une musique parfois tendue et rageuse (Speaker’s Corner et sa basse turbinée, Blind), parfois lancinante (Nothing But The Stars, Soap) mais également dans la retenue puis la tension montante (Deep Blue See, Mistakes) ou la mélancolie. Faire du bruit n’est ici pas une fin en soi, ce qui importe c’est de se faire entendre, de donner toute cette énergie, ces chansons d’une beauté foudroyante et d’une force fragile, ces fêlures érigées en rempart (Red).
La vérité est ce qui importe le plus pour Uzeda. Et lorsque je parle de vérité je parle d’une vérité personnelle, d’une démarche entière et honnête. Dont Quocumque Jeceris Stabit est un nouvel aboutissement. Encore une fois les textes de Giovanna Cacciola ont toute leur importance et il est nécessaire de les lire. Pas forcément tout de suite, toutefois. On peut et on doit tout d’abord s’enivrer de la musique d’Uzeda, de ce noise rock qui n’a pas grand-chose de rock et plus grand-chose de noise, traversant de plus en plus les mêmes contrées intimistes et à fleur de peau qu’un Bellini (évidemment) mais aussi qu’un Heliogabale (logiquement), celles d’une musique parfois tendue et rageuse (Speaker’s Corner et sa basse turbinée, Blind), parfois lancinante (Nothing But The Stars, Soap) mais également dans la retenue puis la tension montante (Deep Blue See, Mistakes) ou la mélancolie. Faire du bruit n’est ici pas une fin en soi, ce qui importe c’est de se faire entendre, de donner toute cette énergie, ces chansons d’une beauté foudroyante et d’une force fragile, ces fêlures érigées en rempart (Red).
Je vais pouvoir continuer à regarder cet horizon tout en me foutant complètement de tout le reste.
[Quocumque Jeceris Stabit est publié en vinyle rouge, gris platine ou noir et en CD par Temporary Residence]
* oui, un M à la place d’un N, je chipote un peu