S’il fallait systématiquement se fier à la gueule de la pochette des disques – et je te raconte même pas s’il fallait se soucier directement de la gueule des musiciens : aujourd’hui Black Francis serait manutentionnaire chez Amazon alors que Seb Radix serait marié avec Beyoncé ou aurait revendu sa marque de casques audio pour un milliard de dollars – bref s’il fallait se fier uniquement aux artworks des albums les choses seraient beaucoup plus évidentes : les métalleux seraient encore plus obtus, les progueux encore plus sectaires, les poppeux encore plus maniérés et plus personne n’achèterait de disques d’electro (d’ailleurs de toute façon qui achète encore des disques d’électro ?). Donc : personne irait voir ailleurs et chacun resterait dans son coin. Ce qui est déjà un peu le cas, tu me diras… Mais ce serait encore pire. Et puis ce disque de FUN serait directement allé aux oubliettes, affublé qu’il est d’une pochette que même les mots ignoble et dégueulasse n’arrivent pas à décrire.
Pourtant Fun c’est du bon. Et même que du très bon. Le groupe existe depuis près d’une vingtaine d’années et ne sort des disques qu’au compte-gouttes. Quand ça lui prend. La dernière fois c’était au début de l’année 2013 et ce n’était qu’un (excellent) 45 tours avec deux titres et coproduit par deux ou trois labels dont le français Rejuvenation records qui en a toujours quelques caisses à refourguer et qui depuis connait de sérieuses difficultés financières à tel point qu’il a du délocaliser son activité d’éditeur phonographique à l’étranger. Bref, encore une fois. Fun nous fait maintenant le plaisir de sortir un mini album – six compositions et vingt trois minutes, ça tourne en 45 tours, presque aussi bien que le dernier Austerity Program – intitulé Death Star. C’est court mais cette collection de chansons noise rock ripolinées à la bauxite (j’écris cela pour ne pas écrire encore et toujours un truc du genre : « du noise rock tendance guitares en aluminium », et merde…) et profondément émotives. Parce que ce qui manque trop souvent à tous ces groupes qui ne jurent que par la tension des cordes de guitare et de basse et les caisses claires desséchées jusqu’à l’os c’est du sentiment. Du sentiment, oui.
Le bien nommé Rock Heavy qui ouvre le disque n’est là que pour contenter les râleurs. C’est effectivement tendu du string, ça donne envie de se faire tatouer sur la fesse droite et le cahier des charges est correctement rempli. Sauf que Fun y fait déjà preuve d’une originalité exemplaire, dans ce côté finalement un peu trainant et en même temps à rebrousse-poils, essentiellement porté par le chant. Le morceau titre Death Star et ses paroles négationnistes est encore plus symptomatique – mais pourquoi crois-tu qu’il a donné son nom au disque, hein ? – sauf qu’il y a ce ralentissement en plein milieu qui cette fois donne carrément envie de cueillir des pâquerettes. Il n’en demeure pas moins que Death Star est une composition anxiogène et tourmentée. Avec une chouille de colère désabusée. Tout ce que j’aime. La suite est encore meilleure. Conan Of Love justifie à lui seul l’écoute et l’acquisition, c’est encore mieux, de ce disque : sorte de blues moderne traversé par des striures emo j’y entends même comme de lointains échos à la Shield Your Eyes / Reciprocate, ce qui pour moi est un immense compliment. A la toute fin du disque At The Center pousse le bouchon du frisson encore un peu plus loin, confirmant le statut bien à part de Fun dans le petit univers très cloisonné du noise rock. Mais tout le monde sera content grâce à Draw A Clock et l’instrumental très shellac-quien Spy vs Spy. Reste que Fun est un groupe de poètes. Des poètes rageurs qui savent manier le feu des guitares et des rythmiques comme personne mais des poètes quand même. Et ça c’est inestimable pour moi. Ça méritait donc bien une pochette de disque aussi moche.