vendredi 7 juin 2019

Hey Colossus / Four Bibles


C’est dingue comme je m’accroche. Malgré tout. J’ai longtemps et passionnément été amoureux de HEY COLOSSUS. Et sans doute le suis-je encore. Même si les choses ne sont plus les mêmes depuis... en fait je ne sais plus trop depuis quand. Cet amour – j’ai envie de l’écrire avec un A majuscule mais je me retiens un peu – a vécu son apogée avec In Black And Gold qui aujourd’hui encore reste non seulement mon disque préféré de Hey Colossus mais demeure également l’un de mes disques préférés tout court, à tel point qu’il fait même partie des dix albums que j’ai voulu à tout prix emporter avec moi lorsque j’ai décidé de partir très loin d’ici pour m’exiler sur une île déserte où plus personne ne pouvait m’atteindre.
Depuis je n’ai plus rien à promettre, à moi ou à quiconque, mais je suis malgré tout toujours heureux d’avoir quelques nouvelles de Hey Colossus, qu’elles soient bonnes ou mauvaises… alors lorsque j’en reçois enfin j’essaie de lire entre les lignes, j’essaie de trouver des explications (même si je sais que des explications il n’y en a pas) et des raisons d’y croire encore. Oui je suis toujours amoureux. 




Four Bibles* est le douzième album du groupe. Et je l’adore, malgré tous ses défauts. Il porte en lui quelque chose de lumineusement triste et de profondément noble. Le côté pop et mélodieux qui n’a cessé de prendre toujours plus de place depuis trois ou quatre disques est désormais l’élément numéro un de la musique de Hey Colossus. Les guitares, il y en a toujours trois, sont de plus en plus fines et aériennes. La voix ne se cache presque plus du tout – sauf sur (Decompression), un court instrumental qui reste pour moi une énigme à part entière – tandis que les lignes de chant sont parfaitement mémorisables et addicitves, elles donnent envie de chanter tant elles sont d’une évidence un peu perturbante au départ et certaines mélodies auraient été taillées pour être des hymnes destinés à être repris en chœur dans les stades ou au pub qu’il n’en aurait pas été autrement (l’incroyable Carcass qui ne ressort pas du crâne il fois qu’il y est entré, le pourtant volumineux et véhément Memory Gore, le plus lyrique Babes On The Plague et son leitmotiv déchirant à la guitare, Confession Bay… ce ne sont donc pas les exemples de tubes qui manquent ici). Même les compositions d’apparence plus anodine telle que It’s A Low – rehaussé de notes de piano et de violonades – ou au caractère plus volontairement virulent comme le faux tandem Palm Hex/Arndale Chins se révèlent terriblement accrocheuses. S’amuser à écouter Four Bibles au hasard et dans le désordre se révèle alors être un jeu des plus passionnants : on a peu voire aucune chance de tomber sur un titre que l’on n’aime pas.

Ce qui fait toute la différence, la raison qui fait que Four Bibles est un bon disque (et le meilleur d’Hey Colossus depuis quelques années) ce sont les deux ou trois titres qui n’ont rien à voir ou presque, qui déstabilisent le disque, le rendent moins évident, menacent son équilibre. J’ai déjà évoqué l’instrumental (Decompression) arrivant comme un cheveu sur la soupe et sonnant comme l’exercice qu’un groupe joue pour s’échauffer avant un concert et finaliser son soundcheck. Mais Four Bibles comporte d’autres éléments perturbateurs infiniment plus appréciables et ce sont les deux plus longues compositions de l’album. The Golden Bough ouvre la seconde face du disque et s’étale sur près de onze minutes à la limite du lymphatique, comme s’il se trainait volontairement, étirant jusqu’à l’invraisemblable son isolationnisme mélancolique, libérant quelques lointains échos complètement désarmants de noirceur et de tristesse et jouant le rôle de l’effet miroir inversé avec tous les tubes mi-passionnels et mi-autoadhésifs mentionnées ci dessus – sans oublier le final avec boite-à-rythmes rachitique et nappes sonores d’une poignante poésie qui transporte directement l’auditeur dans un univers parallèle et étriqué.
Le titre le plus déstabilisant est le tout dernier et il a malgré tout donné son nom à l’album : logiquement Four Bibles aurait du être une autre offrande vouée aux hit-parades de l’underground mais se révèle rapidement assez lisse voire même un brin monotone. Le chant reprend les airs un peu désabusés et acidifiés qu’on lui avait connus sur les albums précédents d’Hey Colossus, les guitares ne s’excitent que lors de courts passages qui débouchent sur… toujours la même chose, une sorte de litanie du manque et de la privation. Jusqu’à ce que tout s’effondre : au bout de trois interminables minutes Four Bibles se mue en une suite de longues trainées de larsens, oscille parfois jusqu’à l’illusion d’un nouveau départ imminent mais non, les larsens sont toujours là, ils ont le dessus, durent de nouvelles longues minutes, malgré tout la basse tente une percée au bout de la cinquième, puis tout s’amenuise, petit à petit**. Ce final en queue de poisson est encore plus frustrant que tout le reste mais d’un autre côté, au lieu de perdre son temps à écrire une autre chanson d’amour perdu ou parlant de l’ironie d’une existence désabusée, Hey Colossus ne pouvait pas imaginer meilleur épilogue pour son disque que ce cauchemar claustrophobe. C’est peut-être pour cela que j’apprécie autant le groupe : parce qu’il sait jouer de son ambivalence et qu’en même temps il assume tout. Donc des explications il n’y en a toujours pas. Pourtant ce Four Bibles me donne la force d’attendre encore.

* enfin il me semble qu’il s’agit du douzième… il est publié en vinyle et en CD par Alter records, c’est la première fois que Hey Colossus collabore avec ce label qui compte dans son catalogue des disques de Reveillez et de Helm, entre autres choses

** je dois préciser que ce final est complètement écourté sur la version vinyle et que donc il tombe à plat, gâchant l’effet de sortie du disque… il convient donc plutôt d’écouter la version en streaming, les mp3 ou la version CD (jamais je ne me serais cru capable d’écrire cela un jour)