lundi 3 juin 2019

Comme à la radio : Protomartyr


Il est grand temps de réécouter plus attentivement et plus consciencieusement le tout premier album de PROTOMARTYR. Initialement paru en 2012 via Urinal Cake (un tout petit label basé à Detroit / Michigan) puis réédité une première fois en 2013 par ce même label, No Passion All Technique n’avait connu qu’une diffusion limitée et pour beaucoup – moi y compris – la découverte de ce premier LP s’est faite sur le tard, via d’informes fichiers mp3 qui en ont découragé.e.s plus d’un et plus d’une. 




C’est Domino records – l’actuel label de Protomartyr sur lequel a été publié le génial Relatives In Descent en 2017 – qui s’est chargé d’exhumer No Passion All Technique de la fosse à purin numérique et qui a très bien fait son boulot : le disque a été remasterisé sans que l’on ait l’impression d’écouter une accumulation de fréquences aigues et graves baveuses poussées dans leurs derniers retranchements, l’artwork originel a été respecté (comme d’habitude avec Domino la pochette est faite d’un carton bien épais contribuant ainsi à l’anéantissement de forêts centenaires), un livret de vingt pages incluant textes des chansons et illustrations diverses a été ajouté (tous les albums de Protomartyr comportent un tel livret) et pour les curieux un coupon joint au disque permet de télécharger l’album soit au format mp3 pas trop limité (320 kbits/s) soit au format wave avec en prime quatre titres supplémentaires issus des mêmes sessions d’enregistrement.





Cette réédition permet de connaitre enfin toute l’histoire. Laquelle n’a donc pas commencé par le fracassant Under Color Of Official Rite (2014) et le magnifique The Agent Intellect (2015), les deux albums que Protomartyr a publiés chez Hardly Hat et toujours disponibles sur ce même label. La progression du groupe – en termes de réussite artistique comme de reconnaissance publique – a été fulgurante et demeure exemplaire : Protomartyr est exactement le genre de groupe que l’on aime suivre avec dévotion et dont on attend la suite des aventures musicales avec impatience.
Mais il manquait donc le point de départ et l’écoute de No Passion All Technique est des plus éclairantes. L’album est le plus basiquement punk et le plus rugueux du groupe. Certaines compositions peuvent désarmer l’auditeur par leur simplicité et leur environnent presque garage (le poussiéreux Principalities) ; la guitare de Greg Ahee est loin d’être aussi inventive qu’elle le deviendra par la suite (mais elle est déjà d’une efficacité redoutable) ; le couple rythmique n’est pas encore imprévisible (la basse ne possède pas cette ampleur fantasque qui lui fait aujourd’hui jouer un rôle moteur dans la musique du groupe) ; et le chant de Joe Casey est encore trop calqué sur celui d’un Mark E. Smith éthylique, incapable de ce lyrisme bancal qui désormais place le frontman faussement nonchalant de Protomartyr aux premiers rangs des poètes électriques et déglingués.
Il n’empêche que la plupart des éléments qui font la richesse de la musique de Protomartyr sont déjà présents dans un enregistrement qui gagne en profondeur au fil des écoutes. La capacité du groupe à donner différents niveaux de lecture de sa musique tout en gardant son immédiateté est déjà flagrante. Plus qu’une redécouverte, No Passion All Technique se mue donc en exploration – certes moins aventureuse et bien moins complexe que celle d’un Relatives In Descent – mais pose les principes fondateurs de la musique du groupe. Des titres qui au premier abord semblent posséder un caractère trop banal et linéaire se révèlent être des petites boules d’émotions (3 Swallows). D’autres sont des tubes en puissance (Ypsilanti ou Feral Cat). Et puis il y a le cas des chansons grises comme Jumbo’s, des chansons en forme de diamants bruts qui révèlent la nature profonde de Protomartyr : un groupe aussi viscéral que noisy et aussi commotionnant qu’émouvant. L’histoire est en marche.