vendredi 8 février 2019

Single Mothers / Through A Wall





Sur leur premier et deuxième albums (Negative Qualities en 2014 et Our Pleasure en 2017), les canadiens de SINGLE MOTHERS avaient le cul entre deux plusieurs chaises, changeant de style quasiment d’une composition à l’autre, passant d’un punk noise énervé au grunge, flirtant parfois avec le slacker voire la balade. Plus particulièrement Our Pleasure est un bon album bien qu’il n’apporte rien de plus au tout premier publié quelques trois années auparavant, comme si le groupe avait fait du surplace. Et puis voilà un disque dont la variété clairement revendiquée nuit finalement un peu trop à la cohésion, les Single Mothers me semblant plus à leur aise lorsqu’ils abordent certaines facettes de leur musique que d’autres – par exemple leur côté Neil Young croisé Kurt Cobain croisé Evan Dando a tendance à vite devenir ennuyeux. Aussi doués soient-ils, les Single Mothers ne sont pas toujours des mélodistes hyper délicats ni des compositeurs ultra raffinés, or, dès qu’il s’agit de la ramener question bonnes chansons qui accrochent dans le frisson et qui tirent la larme à l’œil, le groupe peut clairement montrer quelques limites. En d’autres termes : les Single Mothers ne sont jamais aussi bons que lorsqu’ils se vautrent dans le punk rageux et la violence du samedi soir.

Et c’est exactement ce que le groupe a décidé de faire pour son troisième album. Through A Wall est un disque infiniment plus criard, plus ramassé, plus nerveux, plus rapide et plus déglingué que ses prédécesseurs – avec pas moins de quatorze titres tournant pour la plupart entre deux et trois minutes il ressemble à une rafale d’éjaculations précoces dans un océan de draps sales*. Résultat : ce que le groupe perd en diversité, il le gagne largement en cohésion et en efficacité. Ce qui ne signifie pas que Through A Wall est un album monobloc, linéaire et monotone, non il s’agit juste d’un disque bien plus bourrin qu’auparavant ; les Single Mothers ont simplement décidé d’appuyer presque constamment sur la pédale d’accélérateur, la musique vire au gros bordel potache et qui tache et le groupe préfère se concentrer sur des compositions punk hardcore matinées d’effets noise, de décharges de double pédale, de couplets gouailleurs, de refrains vengeurs, de (rares) solos de guitare déglingués ou volontairement kitschs (Evidence Locker), de breaks tout juste respiratoires et de giclées de bière tiède. Single Mothers joue très bien et à fond, sans toutefois donner l’impression de tricoter des kilomètres de cotte de maille ignifugée, l’analogie avec le metal ne semble alors pas si incongrue que cela mais Single Mothers tient à systématiquement garder son côté crado et ne perd jamais de vue qu’il est un groupe de punk rock sous amphétamines, sorte de descendant bâtardisé du Zeke de la grande époque (pour l’efficacité bien carrée et pour le côté motards suicidaires).

Through A Wall a beau être ébouriffant cela n’empêche pas les Single Mothers de nous gratifier de nombreuxs passages rappelant la diversité stylistique de leurs albums précédents – comme l’introduction/faux départ de Tan Line (Like Passing Through A Wall) – et de glisser une ou deux compositions plus atypiques. Toutes proportions gardées le guilleret et très réussi Across The Couch fait figure de hit single de l’album tandis que Stoic/Pointless renoue avec la veine grungy-lavomatic de la musique du groupe à ses débuts, à ceci près que cette fausse balade est quasiment mieux torchée que toutes celles que les Single Mothers avaient enregistrées jusqu’ici parce qu’elle possède tout le mordant et tout l’allant nécessaires. Mais globalement le groupe a clairement évolué vers toujours plus de hargne et cette évolution s’explique peut-être parce que du line-up originel** il ne reste sur Through A Wall que le chanteur Andrew Thompson. Et vu comment ce type gueule, postillonne ses molaires et s’arrache les cordes vocales tout au long de l’album, il ne fait aucun doute que c’est lui le big boss, le grand tourmenteur en chef, le dictateur diplômé en bourrinade appliquée et qu’il doit épuiser tout le monde.
Bien que très recommandables et appréciés, les deux premiers albums de Single Mothers ne seront donc pas regrettés plus que ça ; disons qu’ils ont appris au groupe comment enrichir ses compositions et épaissir son punk rock, Through A Wall s’imposant en tant que brûlot incendiaire suffisamment bien troussé pour éviter toute lassitude et toute banalité du propos tandis que la musique de Single Mothers y gagne une homogénéité et une cohérence qui jusquici lui manquaient et qui désormais font leur petit effet.

[Through A Wall est publié en vinyle par Dine Alone records en Amérique du Nord et Big Scary Monster en Europe]

* sur la seconde face on trouve même une composition presque bruitiste et sans titre de 17 secondes
** line-up qui de toute façon a toujours connu une grande instabilité