lundi 25 février 2019

Monplaisir / The Agreement





C’est suffisamment rare pour être signalé : lorsqu’en 2016 MONPLAISIR a commencé à diffuser sa première démo, le groupe lyonnais ne se doutait sûrement pas que celle-ci allait susciter beaucoup d’engouement, à tel point qu’Echo Canyon records a alors décidé de la publier en vinyle. Le label (basé à Lyon également) n’aurait pas pu être plus inspiré en agissant de la sorte, ce premier enregistrement sonnant magnifiquement (je veux dire qu’il laisse échapper une vérité sincère), surtout lorsqu’on songe qu’il a été effectué à l’aide d’une poignée de micros lors d’une répétition du groupe. Comme une sorte de petit miracle, les miracles en musique faisant les plus beaux disques. Mais il fallait aussi aller de l’avant et pour leur premier véritable album les quatre garçons de Monplaisir ont pris cette fois-ci les chemins d’un vrai studio où pendant trois jours seulement ils ont enregistré The Agreement, le titre du disque faisant référence aux longues discussions entre les musiciens au sujet de la voie à suivre pour donner corps à leur musique et pour réussir à l’enregistrer. Qu’il y ait eu des débats presque sans fin au sein de Monplaisir je veux bien le croire mais je ne les entends pas lorsque j’écoute le disque.

The Agreement est d’une homogénéité merveilleuse, de celle qui révèle moult petits détails, des finesses d’arrangement, des trouvailles de composition pour donner un album plein de caractère. La démo de 2016 n’était donc pas qu’un one-shot de circonstance ou un hasard bienheureux. Et The Agreement permet à Monplaisir de poursuivre sur la lancée d’un rock indé et noisy : la référence au Sonic Youth de la fin des années 90 et de la première moitié des années 2000 s’impose, de même que la référence aux albums solo si réussis de Thurston Moore, The Best Day et Rock’n’roll Consciousness. Tout ça pourrait sembler bien lourd à porter pour des musiciens ayant choisi comme nom de groupe le nom d’un quartier lyonnais tendance baptou/middle class et dont le gros défaut serait d’être de vrais fans de musique. Mais l’intelligence musicale soit on en a, soit on n’en a pas et dans le cas de Monplaisir je peux affirmer que le groupe en a plus qu’à revendre, je parle de cette intelligence qui exclut ni l’à-propos ni la sensibilité. Ce n’est pas tout de s’inspirer, encore faut il avoir de la personnalité et savoir comment aller au delà de ce que l’on connait déjà tout en se l’appropriant (éternel débat en ces temps où d’aucuns affirment que tout a déjà été fait en matière de création musicale et que c’était forcément mieux avantMonplaisir nous démontre fort heureusement que non).
Ce qui me pousse à penser que la plupart des pistes de The Agreement ont été enregistrées en prise directe avec les membres du groupe jouant tous en même temps, il y a à la fois trop de cohésion et trop de palpitation (et donc de vie) dans ces enregistrements pour qu’il puisse en être autrement. Que The Agreement sonne mieux que son prédécesseur n’est pas réellement une surprise mais il reste de la même nature que celui-ci parce que ce nouvel enregistrement continue de développer une façon de faire franche et compacte qui laisse malgré tout toute sa place à la rêverie noisy : sans être trop dense ni trop resserré le son reste ferme, presque débordant de fierté, tout en ménageant suffisamment d’espace entre chaque instrument, ce qui est un argument de poids en faveur de la pratique subtilement dentelière et sonique des deux guitares mais également en faveur de la basse, encore plus présente. Seule la voix est parfois trop appuyée dans le mix et a bénéficié d’un traitement de faveur : on peut lire quelque part dans les notes du livret que le chant a en fait été doublé et si son côté plus affirmé et moins vaporeux peut interpeler au départ, on finit vite par se laisser faire par son insistance.

Et puis, pour parler encore une fois de miracle, il y a cette ultime composition, Hey John, qui clôture le disque du haut de ses dix neuf minutes. Les autres titres du disque sont beaucoup plus courts, ramassés et quelques uns tentent même de respecter le format des pop songs, ce qui renforce leur efficacité formelle et mélodique – mais je ne devrais pas parler d’efficacité ou même d’efficience parce que celle-ci est fort heureusement contrebalancée par le côté mélancolique et aérien qui se dégage aussi de l’écriture du groupe. Mais en ce qui concerne Hey John les quatre Monplaisir ont décidé de se lâcher un peu plus question grandes traversées et accidents atmosphériques : Hey John est une composition presque entièrement instrumentale et c’est la seule de tout The Agreement, un album où pourtant les textes me semblent revêtir une importance certaine j'écris « presque » parce que le chant y est rare, il n’apparait que tardivement et, pour une fois, il reste inintelligible. Mais Hey John n’en est pas moins signifiante que les sept autres compositions du disque. Je ne saurais parler avec justesse des circonstances exactes de l’enregistrement de ce qui pourrait bien être la pièce maitresse de The Agreement mais Hey John fait partie de ces musiques qui vont au delà des certitudes et des évidences en se déroulant lentement, en s’élevant au dessus des contraintes tout en libérant les sens. Si des fois il arrive qu’une musique nous parle plus que d’autres et que l’on ait même le sentiment qu’elle nous parle à nous seuls, il est bien plus rare que l’on ressente l’envie de lui répondre, d’une façon ou d’une autre. Et si j’osais je rajouterais que voilà la « raison d’être » de tout chroniqueur de disques. Merci.

[The Agreement est publié en vinyle par Echo Canyon et Adagio 830 ; il s’agit d’un tirage limité à 350 exemplaires : chaque copie du disque est accompagnée d’un livret numéroté à la main et comprenant notes, paroles des chansons et photos]