vendredi 21 décembre 2018

Dewaere / Slot Logic



DONC, sur la pochette, il y a écrit DEWAERE – oui comme l’acteur moustachu né à Saint-Brieuc en 1947 – et c’est le nom du groupe qui, on l’aura compris, est originaire de cette même ville de Bretagne. Un groupe comme surgi de nulle part et dont je ne sais rien, mis à part le batteur qui dans d’autres vies a joué avec The Flying Worker, 12XU, Neige Morte et chantait même dans Veuve SS mais il convient tout de suite d’oublier ça : Dewaere c’est tout autre chose.
En dehors de l’artwork* dont je n’arrive pas à savoir s’il représente un télétubbie ectoplasmique sous acide ou une glace à l’italienne parfum fraise avariée il y a quand même un détail qui me chiffonnerait presque. Enfin, façon de parler. Le garçon derrière le micro – il porte un nom délicieusement exotique et qu’il faut retenir : Maxwell James Farrington – chante beaucoup trop bien en ce sens que son accent est pas loin d’être impeccablement coulant-caramel pour mes petites oreilles de baptou frenchy. 
Ce chant et cette voix sont en effet les premières choses que l’on remarque à l’écoute de Slot Logic grâce à cette arrogance téméraire, ce coté sûr de soi, ce lyrisme de velours, ce timbre chaud et puissant, ce dandysme punk, cette façon de faire monter la pression et l’adrénaline en à peine le temps d’un couplet… Maxwell James Farrington, d’où qu’il vienne et quoi qu’il ait fait avant, est un sacré bon chanteur, comme on n’en entend que trop peu – les bons brailleurs il y en a plein de partout mais les types qui savent poser leur voix, chanter et gueuler en mettant en valeur les mélodies sans tomber dans les travers du lèche-micro et de l’emphase princière, cela ne court par les rues.
Pourtant un bon chanteur ne suffit pas à faire un bon groupe. Aux côtés de Maxwell James Farrington se trouvent donc Hugues Le Corre (batterie), Marc Aumont (basse) et Julien Henry (guitare). Je ne sais pas non plus (oui, en fait je sais rien) comment ces quatre là ont pu se rencontrer et se retrouver – OK : ils habitent dans un bled – mais Dewaere, malgré le jeune âge du groupe, explose tous les compteurs à frissons et à chair de poule avec Slot Logic




Imaginez un peu un groupe de rock pour de vrai, pas vraiment noise et pas vraiment punk mais les deux à la fois, un peu post-punk mais pas de trop, avec un petit côté australien, un sens affirmé du torride vicié et des compositions qui pulsent constamment – à l’exception de la déambulation noire et hantée d’October. Des compositions dont les maitres-mots sont : accroche imparable, fougue instantanée, déchainement, chavirement, combustion générale et jouissance abrupte. Dewaere possède même ce talent de savoir et pouvoir dépoussiérer un tube insupportable et symptomatique de la variété anglaise des 80’s, de se l’approprier jusqu’à l’os et de le faire sien en transformant sa guimauve pathétique en jet d’acide nitrique.
S’il fallait faire plaisir aux classificateurs / normalisateurs et trouver quelques comparaisons, Dewaere pourrait appartenir à la même famille qu'un Metz mais se situerait également quelque part entre les Eighties Matchbox B-Line Disaster et Wailin Storms, deux groupes qui eux aussi pratiquent (ou pratiquaient) ombrage enflammé et punk-noise de façon vitale et classieuse, avec ce je ne sais-quoi qui leur confère une aura de noblesse décadente et de fureur romantico-cynique. Tout comme ces deux groupes Dewaere sait maitriser son sujet en dominant les forces contradictoires du barouf pour donner un sens déviant aux mots racé et charnel. 
Sur les dix plages que compte Slot Logic j’ai néanmoins une toute petite tendance à préférer les quelques passages en mid-tempos qui laissent davantage de latitude au groupe pour bien se positionner entre pouvoir de séduction et décharges d’énergie, entre sex-appeal et rébellion mais Dewaere ne rigole pas non plus dès qu’il s’agit de balancer du rapide et du frénétique, ce qu’il réussit invariablement avec une distinction et une assurance certaines. Depuis quelques jours Slot Logic tourne logiquement (sic) et affectueusement en boucle sur la platine. Magnifique et éclatant. Manquerait plus que je tombe amoureux et que je me transforme en Tinky-Winky.  

[Slot Logic est publié en vinyle par Bigoût records et Phantom records ; maintenant il me tarde vraiment de découvrir Dewaere en concert]

* qu’importe, le principal est que cet artwork signé Bráulio Amado ne laisse pas indifférent et atteigne son but (tu vois)