lundi 26 novembre 2018

Buñuel / The Easy Way Out


Existe-t-il un remède au profond ennui suscité par The Thin Black Duke, cet album informe et délavé derrière lequel Oxbow a fait courir ses fans et admirateurs pendant quasiment une décennie ? Existe-t-il un contrepoison à la cruelle déception engendré par un disque totalement indigne d’un grand groupe dont le seul mérite (c’est malgré tout estimable) a été de vouloir se renouveler, tentant toutefois d’y parvenir non sans chuter lourdement ? Existe-t-il une médication capable de faire oublier l’indifférence terminale – camouflet suprême – née d’un enregistrement dont j’aurais souhaité qu’il ne voit jamais le jour ?
J’aurais surtout préféré ne pas avoir à commencer cette chronique en évoquant la tragique constipation aploplexique dont semble désormais souffrir le groupe d’Eugene Robinson et de Niko Wenner mais je n’ai pas eu d’autre choix : depuis ce jour du printemps 2017 où The Thin Black Duke a enfin été dévoilé, mon amour pour Oxbow s’est retrouvé irrémédiablement fané et si aujourd’hui ma déception s’est largement atténuée, j’ai toujours ce gouffre béant à combler, ce manque à soigner, précisément là où ça fait mal. Pour y parvenir les solutions sont multiples : oublier Oxbow après 2007 – ou, plus radicalement, après 2002, en considérant que The Narcotic Story contenait déjà en germes la déconfiture de The Thin Black Duke – ou carrément aller voir ailleurs. Les ailleurs ce n’est pas ce qui manque, sauf que tous les ailleurs du monde n’ont jamais fait un nouveau chez soi. 



Eugene Robinson est un colosse, et pas seulement au sens proprement physique du terme : il a besoin d’une montagne de rochers pour le soutenir tout comme il en a également besoin pour la soulever et la détruire, exprimer ce qu’il est, exprimer cette énergie phénoménale qu’il est capable de libérer pour faire naitre sensations contradictoires et souffrances intimes. Souvent il me fait penser au Golem, ce monstre humanoïde constitué d’argile, géant aussi puissant que fragile qui dans les écrits talmudiques est à la merci du pouvoir de son créateur. Sauf que Robinson est son propre maitre, entre outrances et faiblesses. Mais en multipliant les side projects et les collaborations offshore d’Oxbow il n’a pas toujours fait les bons choix : l’album enregistré avec les musiciens de Zu est d’une profonde pâleur ; au contraire les concerts en compagnie de L’Enfance Rouge sont ce qu’il a fait de mieux ces dernières années.
Bien que faisant partie des ailleurs possibles et bien que faisant partie de ces projets permettant à Eugene Robinson de s’exprimer plus radicalement, j’ai mis un temps infini avant de m’intéresser à Buñuel. Trop peur de tomber sur un vulgaire orviétan, charlatanisme de l’eau sucrée à la petite cuillère et compagnie. Avec BUÑUEL le chanteur américain se retrouve dans la configuration d’un noise-rock noueux, tordu, inconfortable et malade. Emmené par le très impressionnant et rassurant – bien que trop identifiable – Boys To Men, l’album The Easy Way Out a tous les airs d’une autoroute pour Robinson et sa démesure saignante et sexuelle : guitares hachées de saturations et de stridences, basse omniprésente et ravageuse, batterie martelée, musique musclée et agressive voire très rapide, entre noise-rock sombre et ravagé et blues électrifié, armuré et hérissé de pics d’agressivité. Les autres musiciens de Buñuel sont tous italiens et une fois de plus je me demande ce qui a encore poussé le chanteur/performer californien à chercher et trouver refuge du côté de la vieille Europe.
Donc The Easy Way peut me contenter. Il m’apporte ce qu’il me manquait, à savoir une musique acérée, lourde, vigoureuse et sans concession jouée par un groupe solide pouvant soutenir la folie obscure et meurtrière d’un Robinson qui retrouve là ses marques habituelles sans toutefois faire du remplissage « à la manière de » (en d’autres termes : pas d’auto-caricature). Entendre ce groupe et ce chanteur ensemble est un beau cadeau même s’il est évident qu’Eugene Robinson écrase un peu trop tous les autres de sa présence et de son talent ; il est vrai également que les trois membres italiens de Buñuel tombent parfois avec The Easy Way dans le péché d’imitation, singeant Oxbow lorsqu’ils n’en présentent que des rognures, certes dignes d’intérêt (le déjà nommé Boys To Men, The Sanction, Augur, Where You Lay et Hooker). Tant qu’à faire il convient donc de (ré)écouter en plus le premier album enregistré par Buñuel : plus spazzy et plus chimique A Resting Place For Strangers – malgré de nombreux points communs avec The Easy Way Out – me semble plus original et plus intéressant en offrant un équilibre valide et pas moins crédible à une collaboration réussie.

[The Easy Way Out est publié en vinyle et CD par La Tempesta International et Good Fellas records]