Des (auto)biographies de musiciennes et
de musiciens j’en ai lues plein et j’en lirai sûrement beaucoup d’autres
encore. Elles me plaisent pour des raisons très différentes : pour
lire quelque chose venant d’une personne ou d’un groupe que j’écoutais quand
j’étais gamin (White Line Fever de
Lemmy Kilmister) et ainsi définitivement tourner la page (sic) ; pour au
contraire entretenir le culte même si l’idolâtrie c’est mal (I Need More d’Iggy Pop) ; pour découvrir
la face cachée, sombre et désespérée d’un groupe (l’incroyable Death To The Ramones de Dee Dee
Ramone) ; pour avoir un point de vue différent d’une version officielle (Girl In A Band dans lequel Kim Gordon
met les points sur les i face à
Thurston Moore qui a tout fait pour tenir le bon rôle dans leur séparation et
celle de Sonic Youth) ; pour connaitre ce qu’un musicien a fait après ses
heures de gloire, l’appel de l’âge, l’enlisement, la renaissance, la vie, etc.
(Americana de Ray Davies) ; pour
me documenter sur une période musicale que je n’ai pas connue et ne connaitrai
jamais autrement (Beneath The Underdog
de Charles Mingus)… Et qu’importe si ces livres ont parfois été écrits avec
l’aide d’un journaliste et/ou d’un ami, qu’importe aussi si la qualité
littéraire en est déficiente ou même des fois complètement absente, qu’importe
si ces livres sont souvent édités par des petites maisons qui n’ont pas les
moyens de toujours se payer un bon traducteur et un bon correcteur : ce
qui m’intéresse c’est l’histoire qu’il y a derrière la musique, à moi (à nous)
après d’en tirer matière, d’en faire quelque chose – ou pas – tout comme c’est
à moi de faire quelque chose des disques que j’écoute et des concerts auxquels
j’assiste.
Et puis il y a les autobiographies ou les
biographies – et autres livres d’exégètes – que je lis uniquement pour en
savoir plus sur des musiques, des musiciens, des personnes que je ne connais que
mal et dont je n’apprécie pas forcément la musique. C’est le cas de l’autobiographie De Fringues De Musique Et De mecs de Viv Albertine*.
Je l’avoue tout de suite : je n’ai jamais été un fan absolu et
inconditionnel des Slits**, groupe dans lequel Viv Albertine jouait de la
guitare, composait des chansons, groupe qu’elle a tenu à bout de bras jusqu’à
sa séparation en 1982. Jusqu’ici je me contentais (et je me contente toujours) de
placer les Slits sur quelques points névralgiques et concordants de ma petite
carte musicale personnelle. Je sais que même si certaines musiques ou disques
nous accompagneront tout au long de nos existences, il y a également toutes
ces musiques que l’on aime à certains moments de nos vies et d’autres non –
l’inverse étant tout aussi vrai. C’est une question de temps et de moment. Et
il peut arriver que l’un et l’autre ne concordent jamais. Je n’allais donc pas
culpabiliser pour si peu, même si du coup, après avoir refermé De Fringues De Musique Et De mecs j’ai
réécouté les Slits (l’intégralité des Peel Sessions, les albums Cut et Return Of The Giant Slits) puis découvert les enregistrements en
solo et récents de Viv Albertine (le Flesh
EP et l’album The Vermillion Border).
L’intérêt musical et historique de De Fringues De Musique Et De mecs est
évident : Viv Albertine n’a eu de cesse adolescente de chercher et de
découvrir des musiques qu’elle ne connaissait pas jusqu’ici – elle ne ment
jamais sur ses goûts et assume parfaitement ceux de sa jeunesse hippie ;
puis elle a assisté et surtout participé aux débuts du punk anglais, a eu des
amitiés ou des amours tumultueuses avec des personnalités qui figureront
pour toujours au panthéon de la musique ; surtout elle a senti et compris qu’elle
devait faire de la musique par elle-même et pour elle-même – elle a alors monté
les Flowers Of Romance (avec Sid Vicious) puis les Slits, groupe entièrement
composé de femmes. Qu’importe si elle ne savait pas vraiment jouer de la
guitare, qu’importe si elle manquait de pratique et de confiance en elle, l’important était de
retranscrire avec ses propres moyens la musique et les envies qu’elle sentait
en elle, ce qui est la définition stricto
sensu du Do It Yourself.
Mais le véritable sujet du livre n’est
pas là. De ses années d’adolescence à sa vie de « femme rangée et
mariée »*** en passant par son parcours musical, Viv Albertine raconte ce
que c’est que d’être femme : une personne constamment humiliée, abusée,
menacée, exploitée et rabaissée dans une société occidentale dominée
par les hommes et le patriarcat judéo-chrétien – et je rajoute même : capitaliste****.
Elle ne parle pourtant jamais de combat. Elle raconte ses choix de vie, assume totalement
ses erreurs éventuelles, parle de ses réussites et des épreuves qu’elle a
endurées, évite toute complaisance et se livre abondamment et avec une telle
liberté (sur le sexe, la drogue) que la question de l’impudeur ou de
l’indiscrétion ne se pose même pas. Viv Alvertine reconnait s’être parfois
perdue de vue mais est restée fidèle à ce qu’elle voulait et son propos est
tour à tour léger, grave, drôle, sombre, enjoué, dépressif, humoristique,
sérieux, romantique, scabreux, choquant, exemplaire.
La vie de Viv Albertine pourrait être un
véritable roman mais elle s’en fout parce que le plus important c’est justement
de vivre, alors qu’elle a failli mourir tellement de fois. Elle aime la vie et,
surtout, elle aime l’Amour et l’Amitié, choses en lesquelles elle n’a jamais
cessé de croire, en dépit de tout*****. Son ambivalence la pousse constamment à
se détester elle-même, à minimiser la force et l’importance de ce qu’elle
entreprend tout en ne renonçant jamais, cherchant toujours. Elle a parfaitement
conscience qu’elle aime plaire – elle donne des descriptifs vertigineux de ses
tenues vestimentaires – mais comprend que les regards que les autres lui
portent, en particulier et surtout les regards masculins, sont des regards
invalidants et coercitifs, dominateurs. La seule et unique façon de s’imposer
et de vivre c’est d’être soi-même et uniquement soi-même, Viv Albertine peut
aujourd’hui continuer à affirmer qu’elle vit comme elle l’entend.
[De
Fringues De Musique Et De mecs est publié par Buchet Castel avec une (bonne) traduction en français d’Anatole Muchnik – Viv Albertine vient tout juste de publier chez l’éditeur
anglais Faber & Faber un nouveau livre de mémoires intitulé To Throw Away Unopened]
* de son vrai nom Viviane Katrina Louise
Albertine, née en 1954 à Sidney, Australie, d’une mère anglaise et d’un père
français
** pour les
non-anglicistes : slit = fente
** quand une femme épouse un homme on
dit d’elle qu’elle se case et qu’elle se range – commodité logistique d’ameublement
des mots et de leurs sens
**** à ce titre la lecture de Caliban et la Sorcière de Silvia
Federici aux Éditions Entremonde est édifiante
***** page 401 elle écrit :
« Maman, est ce que tout le monde a une boule de douleur et d’angoisse
dans la poitrine tous les jours, du lever au coucher, comme moi ? »
L’air soucieux elle m’a répondu « non ».