Le groupe qui a enregistré TRINNNT est – je simplifie un peu,
beaucoup – la troisième incarnation de NEIGE MORTE. Et sans aucun doute la
meilleure à ce jour. Après le départ du premier chanteur attiré par les sirènes
impérieuses de la pré-retraite, le guitariste et grand ordonnateur du groupe a
décidé de continuer l’aventure et de s’occuper lui-même des voix. Mais pour cela il lui fallait un peu plus d’espace côté guitares et
donc de l’aide : celle d’un bassiste nouveau venu, plutôt virtuose et très
technique (il joue sur une cinq cordes avec tous ses doigts et je suis à peu près
sûr qu’il est fan de Magma et de Meshuggah) pour prendre en charge quelques unes
des parties du guitariste et en ajouter de nouvelles bien à lui. Parce que continuer à tout faire tout
seul mais avec l’appui d’un octaver et d’un rack bidonné d’effets n’aurait sans
doute pas toujours été suffisant ni toujours très efficient. Résultat, avec l’association
d’une guitare et d’une basse le son de Neige Morte s’est encore plus texturé mais n’a pas fondamentalement gonflé – phénomène après tout difficile à envisager lorsque on a auparavant écouté le déjà incroyable et
particulièrement aliéné Bichephale,
précédent album du trio – et, en fait, c’est une bonne partie de la musique de Neige Morte
qui a changé. Dans toute sa radicalité.
D’un mélange entre black metal bruitiste
et structures à la limite de l’abstraction free, Neige Morte a glissé vers une
musique davantage influencée par le Death et l’atmosphérique déviant. Tout en
gardant son côté noise et insidieux. Attention : ici tout est toujours
tordu, fulgurant voire parfois martelé, on ne peut plus malsain, noir de chez
noir, glauque, d’un metal peu commun et donc déstabilisant pour un amateur
lambda de métalleries hygiéniques et qui risque de trouver TRINNNT (comme la plupart de ses prédécesseurs) peut-être un peu
trop cérébral et conceptuel. Or il n’en est rien. La musique de Neige Morte ne
se la raconte pas, ne fait étalage d’aucune gratuité technique et convoque les
sens avant tout. Le trio pioche toujours dans le metal extrême du début des
années 90 mais il a en quelque sorte juste changé de bord, voire de continent d’adoption,
échangeant un peu du souffre (souffle ?) létal de sa musique possédée et
haineuse contre du plomb et une lourdeur se cristallisant jusqu’à l’évanescence.
Avant il fallait faire un peu plus
d’effort pour entrer dans la musique de Neige Morte et accepter de suivre le
trio dans ses labyrinthes obsessionnels et psychopathes. La douleur était le
prix à payer. Désormais le groupe prend moins directement à la gorge, s’empare
de l’auditeur par étouffement, l’enferme dans une chape quasiment nébuleuse. L’architecture
est moins alambiquée, il y a moins d’angles mais beaucoup plus de zones d’ombre
d’où émergent des sons de guitare malades qui n’ont plus grand-chose à voir
avec les conventions classiquement exterminatrices du metal (le bien-nommé Niquez Bien Toutes Vos Mères). Et,
étrangement, on finit par se sentir inexplicablement bien en écoutant TRINNNT. Les tourbillons métalliques se
muent en hypnose cathartique, la toxicité de la jouissance s’alliant avec
l’addiction de la possession, la musique prenant les rênes de l’inconscient,
jusqu’à l’aboutissement magistral offert par la dernière plage du disque,
intitulée Le Lac, sorte de mantra violemment
flottant et apocalyptique. Comme une résurrection dans le néant.
[TRINNNT
est publié en vinyle par Division Records, Dullest Records et Grains Of Sand ;
en CD par Consouling Sounds ;
la version numérique est disponible chez Atypeek music]